Article - La peinture comme nécessité
Article: La peinture comme nécessité
Il y a des parcours que rien ne prédestine à la peinture et au travail solitaire de l’atelier. Des vies solidement ancrées dans la réalité, des ascensions sans fausse note, des voies que l’on s’efforce de tracer sur mesure sans imaginer un jour pouvoir y déroger. L’itinéraire de Olivier Toma ressemblait à ces rouages parfaitement huilés jusqu’au jour où quelque chose s’est distendu pour laisser place au seul moyen d’expression possible dans l’instant, la peinture. Une approche directe, physique. Un corps à corps avec la matière comme seule manière de transposer les émotions et d’en communiquer la réalité agissante.
De ce travail dans l’urgence des premiers temps, émergèrent le discours et la raison intellectuelle. Devenue nécessité, la peinture revêt dès lors un aspect expérimental lié à un idéal imaginatif. Un espace de création pure où l’artiste expérimente tous les possibles et invente, dans une sorte de genèse picturale audacieuse, toute sorte de techniques qu’il s’approprie dans le seul but de servir son propos. A cette recherche incessante qui le mène sur des voies encore inexplorées, s’impose en rémanence le signe, la calligraphie, le geste réfléchi, l’énergie circonscrite, le verbe. Une figure inamovible autour de laquelle s’articule une œuvre dynamique et instinctive.
L’objet de la peinture est d’abord l’opacité du monde. La peinture est matière et pour percer son mystère, l’espace de la toile devient expérimental. Il s’agit véritablement de faire venir, de concentrer le monde dans ce qu’il a de plus primitif et originel. Une substance sans limite qu’il livre à l’expérience, au hasard, à la rencontre fortuite et à l’élaboration lente de textures inattendues.
Le peintre devient alchimiste et l’atelier se transforme en laboratoire où chaque tentative est rigoureusement consignée. Faisant fi des démarches classiques, Olivier Toma tient à inventer un univers qui lui est propre, puisant autour de lui les éléments susceptibles d’enter dans la composition d’une matière ou détournant les produits les plus insolites afin d’obtenir le résultat escompté.
La nature d’abord, offre un champ inépuisable d’inspiration. Une séduisante prodigalité dont l’artiste explore les multiples aspects. De ses voyages, il rapporte des curiosités minérales, tel ces flacons de sable vert qu’il utilise pour de lumineuses surfaces granuleuses. La terre lui offre une large palette chromatique, des pigments naturels dont il apprécie les tonalités chaleureuses. Fasciné par les qualités tinctoriales de certaines plantes, il exprime la couleur contenue dans les pétales et le corps des végétaux par d’étranges concoctions, fabriquant ainsi des encres et des bases de nuances plus ou moins soutenues.
Des fleurs aux épices, en passant par les aliments traditionnels, tel le chocolat ou le blanc d’œuf pour médium, tout est sujet à réflexion et à expérience, voire expérimentation.
Avec l’usage alternatif de produits et de molécules chimiques qui s’attirent ou jouent la répulsion, la toile se couvre d’une couche sédimentaire, tantôt harmonieuse, tantôt conflictuelle. La dynamique est essentielle, comme s’il s’agissait de retrouver l’élan premier, l’impulsion primitive, celle-là même qui précéda la représentation. La peinture se déploie tel un étrange chaos. Une sorte d’énergie instable, pleine de mobilité, de mouvement, de flux et de transformation.
Au sein de cet espace, les éléments se lient, se répondent et engendrent un tableau construit de tensions extrêmes. Travaillée de manière complexe, la peinture semble porter les prémices d’une matière en gestation. Prend place alors, un débat incessant entre l’espace à peindre, la genèse contenant des fragments d’univers et l’omniprésence du signe. Sachant que le chaos est là, toujours réceptacle de la figure.
Deux forces qui s’opposent. Le chaos et l’ordre. Le silence et le verbe. La sensualité et le sacré. Les signes calligraphiques annoncent l’équilibre, l’harmonie, la fondation et les toiles s’architecturent autour de ces fragments d’écriture omniprésents. Pour Olivier Toma, le rôle symbolique du signe est déterminant et son esthétisme soigné apparaît telle une respiration, un trait d’humanité posé à la surface du monde. La représentation plus ordonnée tempère la création chaotique. Des constellations, des enchevêtrements jusqu’à la dynamique instinctive s’oppose une nature structurée. Concentrant toutes les aspirations des hommes, le signe témoigne d’une volonté inaltérable de nommer, d’éclairer et de donner du sens aux choses qui les environnent.
D’inspiration variée, la calligraphie marque aussi un retour au scripturaire, à l’amour du graphisme et à ses dimensions énigmatiques et merveilleuses. La gestuelle fait entièrement partie du cérémonial, inscrivant sont amplitude bien au-delà de l’espace imprimé. Là encore, le choix des pigments, la transparence, la luminosité et l’intensité des couleurs sont le résultat d’une recherche aboutie.
Le travail d’Olivier Toma jouit d’une indépendance à tout épreuve. Ses évolutions se font de manière spontanée et jamais en vertu d’une intention qui viendrait contrarier la matière première de son imagination et de sa démarche de chercheur. Son expression artistique demeure éminemment libre et par conséquent, très caractéristique.
Elans de vie, dynamique, rythmique, la peinture est essentiellement sensuelle.
Sensuelle dans son appréciation du temps, facteur important de l’acte de peindre qui devient le sujet même du tableau. Temps inhérent à la technique qu’il lui faut retrouver sans cesse.
Sensuelle dans le choix de la texture.
Sensualité du rythme, conférant comme un battement de cœur vibrant à la surface de la matière.
Sensualité et sacralité, dans l’ambiguïté d’un équilibre fragile
Elle apostrophe celui qui la regarde. et le place devant la question du sens et du secret de la substance avec une telle intensité, une telle présence, une telle évidence de la peinture renouvelée.
Danièle Helligeinstein