"Et maintenant on va où ?", Un cadre libanais pour une image non libanaise
Opinion: "Et maintenant on va où ?", Un cadre libanais pour une image non libanaise Par Dr Frédéric A. Zakhia - 24 Octobre 2011
Nous sommes allés entre amis pour regarder « Et maintenant on va où ? », le nouveau film de la cinéaste libanaise Nadine Labaki. D’habitude, je me refuse de regarder des films traitant de la guerre libanaise car pour moi, qui appartiens à cette génération (tout comme l’auteur) qu’on appelle souvent au Liban « la génération de la guerre », le sujet est épuisé. Non seulement cela réveille des souvenirs douloureux, loin d’être comiques, mais c’est aussi un sujet dont la plupart des Libanais ne veulent plus parler ou entendre parler. Dans notre pays, nous avons besoin de vraies comédies pour nous distraire. Cependant, je trouve qu’il est de mon devoir d’encourager les productions libanaises.
Si le sujet trouve un bon accueil dans les sociétés occidentales et particulièrement dans la société française qui s’intéresse aux autres cultures, nous ne souhaitons pas faire de nos souffrances un objet de divertissement pour les autres. Face à ces sociétés laïques qui s’amusent en regardant des films se moquant de la religiosité ou de la religion, l’auteur devrait aussi réfléchir en premier lieu à la sensibilité religieuse de son peuple, de son pays natal, afin de garder cette réalisation entièrement libanaise, puisqu’elle concerne les libanais et elle est censée refléter la société libanaise. Le cadre est libanais, mais l’image est inclassable. Car malgré la laïcité ou la tolérance de nombre de personnes, notre société libanaise reste profondément religieuse : un Chrétien libanais pratiquant, voit sa sensibilité religieuse heurtée en regardant par exemple une femme qui, ayant perdu son fils, jette de la terre sur la statue de la Vierge Marie en guise de représailles ou bien jette ou cache son fils tué dans un puits, sans liturgie d’enterrement. La tradition religieuse libanaise a montré qu’aucune croyante, mère d’enfant, ne pourrait jamais agir de la sorte. En outre, les apparitions présumées de Saint Joseph sont une véritable insulte à l’égard du public Chrétien libanais. Ces sujets, ne sont pas et ne seront jamais comiques pour notre société. De plus, le déroulement des événements allait plus en se moquant de la religiosité chrétienne (jeter de la terre sur la statue de la Vierge, casser la Croix ou bien détruire une statue de la Vierge), plutôt que sur des symboles musulmans, abusant ainsi de la tolérance chrétienne.
Sur la forme, j’ai remarqué que dans le sous-titrage en anglais, certains sous-titres n’étaient pas dits oralement (concernant la Croix ou le Croissant).
Finalement, si Danielle Arbid, entre autres, s’était aventurée avant Nadine Labaki à parler de la guerre libanaise, ses documentaires avaient provoqué un tollé au sein de la communauté des jeunes libanais expatriés, malgré les prix et les récompenses qu’elle a récoltés et le bon accueil des sociétés occidentales. Ce n’était pas pour dénigrer la qualité de ces documentaires ou films, mais ils voulaient tous tourner cette page amère de la guerre, se libérer du passé morne pour construire un futur heureux et pacifique.
Loin de vouloir décourager, je salue l’effort de la cinéaste et de son équipe pour réaliser ce projet. J’ai particulièrement apprécié le tournage réussi dans la nuit et ce travail suscite l’admiration et l’idée aurait été originale dans le sens complet du terme si elle n’avait pas touché à une plaie encore malheureusement saignante.
Cette utopie « comique » se termine peut-être à la fin avec quelque chose de réaliste : arrivant au cimetière et portant le cercueil, ce qui a uni les villageois les sépare de nouveau. Quel cimetière choisir pour le défunt Chrétien ? Un cimetière musulman ou bien chrétien ? Prouvant ainsi que le sujet de la religion et du confessionnalisme au Liban reste un sujet sérieux, très sérieux, omniprésent et même tabou. Ce sujet ne peut pas se résoudre en reniant sa propre religion ou en prenant la religion de l’autre comme il est suggéré dans ce film, mais dans le respect et l’acceptation de l’autre. Le modèle socio-politique libanais, qui est loin d’être parfait mais qui réserve pour chaque confession, un droit de représentation dans le monde politique et dans les administrations du pays, devrait être appliqué dans toute nation qui est encore en retard avec l’humanité, où des minorités sont encore victimes de discrimination raciale ou religieuse.