Jean-Paul Mansour

Quelques poèmes de Jean-Paul Mansour

La toile Blanche


J’ai saisi mes pinceaux, les liants et couleurs;
Une toile de lin d’un blanc immaculé.
Un besoin d’étaler mille teintes et lueurs,
Le contact de ma brosse nerveuse, éculée.

Ma palette à la main, mes idées ressassées,
Je scrutais la surface, tourmenté par le doute.
Un sujet compulsé, des pensées tracassées
Par tant de réflexions qui m’obsèdent et m’envoûtent.

Tantôt j’étais partant, vigueurs et énergies
Encombraient mes envies d’une œuvre terminée;
Variantes innombrables, concepts et magies,
De mon fond jaillissaient des essais ruminés.

Seulement me voilà, des idées toutes blanches
Réfléchies par ma toile, tortillent mes neurones,
Spirales dans l’abîme déferlent en avalanches,
Stériles, infertiles, qui sur mon âme trônent.

Mon esprit, prisonnier par cette incantation,
Ne cesse de clamer le vide et la torpeur,
D’un organe atrophié filtrant mes intentions
Qui bloque mon allant, entame mes ardeurs.

Le moral agacé, je lâchais mes efforts
Rangeais le matériel, abrégeais mes ennuis.
Me résignais au fait, poussé aux contreforts,
En attendant demain, qui réduira ma nuit…

JPM

Hommage à mon Maître décédé Paul Mantes

Les pseudo-artistes

Ils se pavanent comme des paons, marchent sur la pointe des pieds,
Verres fumés couvrent leurs yeux qui les protègent de la nuit !
Feignent ne rien reconnaître, affichent une allure qui sied
A ces artistes très hautains, et qui sans eux tout est ennui.

Ils ont besoin d’être adulés, toute attention leur est bien due;
Déjouent les règles de l’Artiste, et font que l’œuvre parle d’eux,
Se badigeonnent de couleurs, et ne seront jamais fondus
Dans cette masse prolétaire, qu’ils considèrent comme des gueux !

Je connais un artiste peintre, digne doué et authentique.
Un Monsieur de soixante-cinq ans, au long passé des plus crédibles,
Sans se soucier des artifices, en créateur véridique
Au service de son œuvre, la signature invisible.

Il œuvre dans la discrétion, en s’appuyant sur son talent
Sur sa palette en arc-en-ciel une harmonie digne des dieux.
Des lignes bien déterminées vont conférer à son élan,
Une peinture généreuse, plein de couleurs tombées des cieux.

Lorsqu’on le croise dans la rue, c’est un quidam de tous les jours
Arpente villes et forêts, vêtu comme un simple flâneur
En quête d’une panoplie, de perspectives et de contours,
A la recherche de reflets, d’un beau visage ou d’une fleur.

Mais de nos jours l’art est argent, question de mode et de vantards,
Se cachent à l’ombre de l’abstrait, se font passer pour des génies,
Pour quelques tâches parsemées au gré d’humeur et de hasard,
Très convaincus et vaniteux, tombés dans la schizophrénie.

JPM

Le mal incurable

Ô Beyrouth ! carrefour de mes joies délaissées,
Mémoire d’un séjour, de mon moi harassé,
Tes mille venelles, abritent mes pensées,
Des miettes de bonheur, quelques bouts du passé…
Libère mon amour que tu tiens en otage ;
Relâche mon esprit et cesse les orages :
Remords et nostalgies, qui de mon fond ravagent
Ma vie, mon quotidien, très loin de ton rivage.

Ô Beyrouth ! Ton soleil que tu m’as tant donné,
Logé dans ma fibre dirige mes années,
Allège mon fardeau, fidèle comme une ombre.

Ô Beyrouth ! Poussières de tes souks délabrés,
Ont élu domicile - ne cessent de vibrer -
Dans ma peau truffée du sable de tes décombres…

Les roses épineuses

O ! que l’amour est beau ! O ! que l’amour est vil !
Largue dans son sillon des roses épineuses ;
Fais boire à ses amants la potion vénéneuse,
D’un délicieux nectar aux bienfaits très futiles.

N’a-t-on pas vu Orphée errer avec Hadès
Perdu, désespéré, pleurer son Eurydice,
Rechercher dans la mort sa trace et ses indices ;
De tous, n’y pouvaient rien, ni Zeus ni Héraclès.

Et quand les épines encombrent les sentiers,
L’amour est chimère, qui danse sans pitié
Au seuil des frustrations, narguant nos sentiments.

Les amoureux, Orphée, trouvent consolation,
Reluisent leur espoir, leur imagination,
Souhaitant dans l’ailleurs, enlacer leurs amants.

Ensorcellement

Les Nymphes ont fredonné leurs chants et ritournelles ;
Douce harmonie qui envahit mon essence
M’invite à effleurer de mon moi, de mes sens,
La candeur de cette eau limpide, maternelle.

Habiles, enjouées, cherchent à me happer
Au sein de l’élément qui constitue mon moi ;
Et ne peux résister à l’attrait, qui m’émoi,
De ces fraîches ondées par les brumes drapées.

Naïades camouflées par tant de nénuphars,
Envoûtent mes pensées confuses en dérive.
Des sensations suprêmes m’invitent loin des rives,
De ma raison grisée de flou et de blafard.

Je mettrai à nu mon âme encombrée
De ce corps capricieux, rongé par le mal-être ;
Me vêtirai d’une eau qui refera mon être
Mélange d’illusion, fusion et unité.

Un orage des dieux

Un orage des dieux s’avance dans la plaine,
Prépare ses réserves qu’il versera tout dru ;
Un courant qui s’échauffe à enflammer les chaînes
Des monts et des vallées dans les nues disparus.
La clarté agonise, les champs rentrent les leurs ;
Les villes insouciantes continuent à grouiller.
Etalages enjoués, reliquat de couleurs
Se teintent d’un grisâtre, et par le noir souillés,
Ont perdu leur éclat, en attendant le jour.
Le vent fait tournoyer les feuilles débranchées ;
Un cortège emmêlé se lève pour un tour,
Maculé de vermeil de contrastes tranchés,
S’en va essaimer les parcelles voisines.
La flore s’est penchée en faisant allégeance
Aux forces invisibles malmenant leurs racines
Qui n’épargneront rien, sereines et sans vengeance.
Le vent s’est fait bourrasque, dispute les forêts.
La terre s’est levée, a perdu ses repères,
Charrie plein de fragments, ses miettes et ses engrais
Rien n’est plus à l’abri, ni maisons ni repaires.
Les éclairs ont jailli des yeux du firmament
Ont foudroyé le sol, les mers et les abîmes ;
Complicité d’un jour, complicité d’amants,
S’adonnent à cœur joie et font payer la dîme
Aux hommes et aux vivants, pour la terre fertile
Qui fera bon usage des ondées du chaos,
Dans un mélange fin de glaise et de subtil,
En piégeant le déluge, en dupant ce fléau.

Les précipitations ont formé un écran,
A boucher l’horizon, saturer les rigoles.
Les eaux ont envahi, en montant de cent crans,
Les vallées et terrasses d’où coulent et dégringolent
Des cordes emmêlées, vrillent et clapotent,
Finissent en concert en rejoignant les flux,
Dévalent les pavés , arrachent et dépotent,
Forêts et centres-villes de la tempête élus.
Les foudres ont ravagé les arbres et les clochers;
Lumières métalliques dans un bleuté d’acier,
Fendent l’atmosphère, vont défier les rochers ;
Des toits et des foyers dérangés et viciés.
Les maisons ont vibré au son des explosions ;
Le sol a ruminé ses lopins défrichés ;
Les espaces ont trouvé, en ce jour l’occasion,
De faire des reproches aux terres desséchées,
Vont réparer l’affront, d’un astre trop zélé,
Déversent leurs ondées sur plaines et bitumes ;
Averses sporadiques par vagues ciselées
Un nettoyage de fond que la tempête assume.

Des vapeurs çà et là parsèment l’horizon
Cèdent leurs espaces à la profonde bleue
Virevoltent et se dissipent au dessus des maisons
Dégagent les reliefs et restituent les cieux.
Les nappes phréatiques ont étanché leur soif
La flore repliée redresse ses atouts
Se laisse caresser ses feuilles et sa coiffe
Par des rayons dorés qui fusent de partout…

Rançon

Sa beauté admirée, source de tout désir
Etouffait ses valeurs, attisait le rejet.
Son « Moi » ne comptait pas, mais son corps est objet,
Carcasse de vautour, la chose du plaisir.

Certes, l’ego flatté, sa peau donnait le change.
Ses sentiments vacants, criaient le déshonneur.
L’Amour tant souhaité, enchaînait son bonheur,
Relégué aux romans, afin qu’il ne dérange…

L’écho se faisait sourd se frayait un chemin,
Allait se fracasser sur des chairs aveuglées ;
Tendresse et compassion dans le noir épinglées
D’aucun ne lui prêtait, ni le cœur ni la main !

Trahie par son destin, sa beauté suicidaire,
Esseulée, accablée, veut taire son profil,
A médité ses veines un soir dans son exil
Puis libéra sa peine de sa vie mortuaire...

Beyrouth, ma petite déesse

Les soirs d’été halés d’un beau soleil couchant,
Sur les bords de Beyrouth, teintés d’algues dansantes,
Reviennent en torturant ma tête pensante,
Une fois sur le rivage, de la Corse, en marchant.

Tes côtes escarpées, sillonnent ma mémoire,
Que j’essaie d’oublier, repousser cette idée,
Qui hante mes pensées, mes images ridées.
Te reverrai-je un jour, devrais-je garder l’espoir ?

Senteurs d’eucalyptus, de palmiers en panache,
Ressurgissent d’un coup, qui, de mon cœur arrachent
Un sentiment d’amour, tombé dans la détresse.

Et lorsque ton soleil, contourne l’horizon,
Tes montagnes au faux jour, abritant les saisons,
Rappellent mon pays, et ma petite déesse.

Le temps

Le temps ne passe pas, mais nous, nous passerons.
Le temps est bien figé, mais nous, nous nous mouvons.
Le temps est éternel, et nous, nous dérivons.
Le temps ne s’use pas, mais nous nous vieillirons.

Précarité d’un homme, réalité d’un jour…
Le temps est ce qui EST, et nous, sommes sans être.
Le temps façonne tout, l’inerte et les êtres.
Le temps est maître à bord ; il donne à qui son tour.

« Il » ne s’écoule pas, mais fait tout s’écouler.
Observe sans toucher, ce qui va s’écrouler.
Serein, impassible, sans haine ni pitié.

Le temps donne au temps, mais ôte à ceux qui sont.
Toujours compte à rebours, d’aucune autre façon !
Rien ne saurait changer. Qui sera amnistié ?

La mémoire dans les champs

Sur les pentes du passé son amour est tombé;
Ce fut un jour de guerre, ce fut un jour d’épée
Qui épongea son cœur, d’accablement drapé,
Le glaive la trancha le sentiment plombé.

Depuis, elle se meut couronnée de tristesse,
Le regard libéré va glisser dans l’errance;
Son Moi abandonné, ni joie ni espérance
Adouciront sa vie, caresseront ses tresses.

Elle se souvient des fugues derrière la colline,
Ils s’asseyaient tous deux rafraîchis par le vent,
Les lèvres s’effleuraient dans un geste fervent
L’étreinte délicate et la passion câline.

Leurs rires s’enchaînaient migraient jusqu’aux orées.
La flore témoignait de leur gaieté nubile;
Et même les nuées clémentes très habiles
Permettaient aux rayons d’arroser leur virée.

Ils rêvaient éveillés, répétaient leurs prénoms.
Leurs serments ont marqué des roches accueillantes,
Entre chute et cascades, de ces eaux bienveillantes,
Ils ont juré leur vie ils ont posé leurs noms

A travers les carreaux se dresse sa mémoire,
Ces étendues bénies théâtre de ses joies,
Cherche sur les hauteurs, mais elle ne sait quoi,
Peut-être sa moitié peut-être l’illusoire

Noël

Noël, Noël, Noël ! La fête travestie ;
Semblant d’une amitié, un morceau d’une nuit
Les ventres au rendez-vous, en attendant minuit
Simulent l’équilibre, en taisant l’appétit !

Noël a changé d’heure aux cloches du commerce,
Décide le moment de produits et d’argents ;
Simule le cadeau, mais s’immisce en agent
Des riches et des nantis, qui comptent leurs sesterces

Ils en ont fait un jour d’échoppes et d’étalages,
Vous offrent la ficelle ainsi que l’emballage !
Vous explose les yeux d’un nécessaire idiot.

Les sapins ont flétris malgré les ornements ;
Les crèches sacrifiées par ce détournement
D’une fête perdue, tel un pauvre rafiot.

Banquiers…

Bavez vos intérêts sur les maisons de paille,
Trompez les indigents qui mordent à l’appât,
Appât au goût de fiel, élégantes racailles,
Que vous servez aux chiens entre vie et trépas.

Farcissez vos encours d’aumône et de billets,
Creusés dans les goussets. Servez vos araignées !
N’oubliez pas agio ; de vos calculs souillez
Soldes de misères, salaires de saignées.

Sans quémander le droit de modifier accord,
Vous prélevez sans choix, vous inscrivez vos droits,
Sur comptes de survie, par tribord et bâbord,
En gobant vos cafés, jouez les ayants droit.

Incitez aux excès de vos produits sans âmes !
Stratégies d’usuriers, filets de soie tendus,
Epinglent finances, en brisant nos deux rames :
Pour un bateau perdu, dans les eaux suspendu.

Ô ! Êtres amputés, desséchés dans la peine
Vous qui boitez en vain, dans un essai ultime,
Vos comptes asséchés alimentent les rênes
D’un blindé financier qu’on a fait légitime.