Harout Fazlian - Tamer of Musical Colors (Text as well in French)
Harout Fazlian, dompteur de couleurs musicales
Sophia Marchesin (agenda culturel No. 409 du 5 au 18 .10. 2011)
Chef d’orchestre, professeur de musique au Conservatoire national supérieur de musique au Liban, Harout Fazlian ne cesse, depuis vingt ans, de se manifester sur la scène musicale libanaise et de développer une carrière internationale. Rencontre avec ce passionné d’art, quand musique rime avec couleur, énergie, respiration, philosophie.
Sept ou huit ans, il revoit encore la pochette du vinyle, la forme du tourne-disque, ce petit meuble en bois qui trônait dans le salon. Il se souvient d’avoir éteint la lumière et allumé une pile pour jouer avec la lumière au bout de la main, comme s’il battait la mesure de cette Neuvième Symphonie de Beethoven, qu’il écoutait pour la première fois. Beethoven son plus vieux souvenir musical, son premier compagnon aussi, celui qu’il nomme aujourd’hui familièrement “mon chef” ou “mon guide”.
Harout Fazlian est chef d’orchestre depuis vingt ans. Quand il parle de son métier, il évoque sans cesse la couleur, la peinture, les respirations de la musique qu’un bon chef d’orchestre sait choisir. Sa baguette est un pinceau magique, l’orchestre son instrument : “Un chef d’orchestre ne change pas la musique, mais il lui donne une autre couleur. L’important, c’est d’exprimer les couleurs dans la musique, en choisissant un bon angle de lecture.”
Mère peintre, père metteur en scène : côtoyant des artistes, l’odeur des pots de peintures et des répétitions théâtrales faisait partie de son quotidien. “La première chose que j’ai vue et entendue c’est l’art, c’est comme si j’étais né dans les coulisses d’un théâtre. La scène est ma deuxième maison.”
Départ à l’Ouest, à l’Est
Et puis la guerre en 1976, toute sa famille émigre à Montréal. Harout avait commencé à étudier le piano et le violon au conservatoire de Beyrouth. Il continue son éducation classique au Canada, découvre le rock et crée son groupe de musique à 15 ans. À 22 ans, il part en Arménie, décidé à devenir chef d’orchestre. L’Arménie était l’une des quinze républiques membres de l’URSS, le conservatoire d’Erevan avait la réputation d’être de qualité, sur le modèle de celui de Moscou. L’Arménie, c’était aussi le pays natal de ses parents, dont il connaissait seulement la langue maternelle. “Ça a été un vrai choc des cultures : Montréal-Moscou une étape à 180 degrés ! C’était un très bon choix, car dans le temps, il n’y avait pas beaucoup de distractions, et j’étais chanceux car j’étais très sérieux, j’étudiais comme un fou ! Littérature, musée, philosophie, un vrai foisonnement intellectuel. Une période incroyable pour moi, que je répèterais à l’identique si on me demandait de recommencer.”
En 1990, ses diplômes de chef de chorale et de chef d’orchestre symphonique en poche, il retourne à Montréal, commençant sa carrière en dirigeant de petits orchestres, et il remporte, en 1992, le deuxième prix du Concours de musique tchèque, ainsi que le prix spécial du jury pour la meilleure interprétation de la Huitième Symphonie et de ‘L’ouverture du Carnaval’ de Dvorak.
Un Liban à reconstruire
En 1996, son père, le metteur en scène Berj Fazlian, monte une pièce de théâtre à Beyrouth. Le Conservatoire national supérieur de musique au Liban manque de professionnels, on propose une place de professeur de musique à son fils : “Ça a pris moins de deux secondes dans ma tête, j’ai dit oui !”.
Lors de ce premier retour au Liban, il découvre une scène musicale classique absente, sans orchestre national. “Dans les années 1990, on importait tout, c’était mauvais. L’importation de la culture comme dans les pays du Golfe, c’est du plastique, ça ne marche pas. C’était notre responsabilité de tout construire.” Il crée alors une chorale, et organise de petits concerts qui, au début, rassemblaient quelques curieux. Puis, dès 1999, il participe à la création du premier orchestre symphonique libanais, fait salle comble, dirige des concerts dans plus de vingt pays, et collabore avec de prestigieuses figures de la scène artistique libanaise, comme Henri Zogheib, Julia Boutros ou encore Fairouz.
Penser l’art et la musique, pousser les limites du spectateur passif
Aujourd’hui, son rôle de chef d’orchestre auprès de ses élèves et du public est avant tout un rôle éducatif : les préparer à l’écoute, à la connaissance des différentes saveurs de la musique ; pousser les limites de son auditoire, loin d’une position confortable de spectateur passif. “La musique classique demande un vrai travail de la part de l’auditeur, car elle combine émotion, attention et pensée. Le rock c’est la violence, la nervosité ; le corps s’agite, les émotions sont directes. La musique classique parfois aussi, mais celle-ci nous transpose avant tout dans la pensée, les souvenirs, la réflexion, dans des lieux qu’on avait oubliés, consciemment ou non, ou des lieux qu’on ne connaissait pas encore. Qui est prêt à prendre ce temps-là aujourd’hui ?”
Car si “la culture est une résistance à la distraction” comme l’a écrit le cinéaste italien Pasolini, pour Harout Fazlian : “Le problème n’est pas que le divertissement ait pris le dessus sur l’art, on a besoin des deux. Mais on essaie de nous faire digérer que le divertissement est plus important que l’art, qui devient alors secondaire, minoritaire. C’est très dangereux. Pourquoi ? Si tu veux une société-robot, des légumes individualistes, tu leur donnes ça pour qu’ils n’aient plus besoin de réfléchir sur eux-mêmes et les autres.”
Un chef d’orchestre qui dompte sa pensée comme la musique, qui agite les consciences, les colore d’images. Un homme qui rythme ses phrases, les ponctue de silences, joue avec les dissonances, parle de correspondances, d’une philosophie commune entre Brahms, Wagner, Beethoven, Dostoïevski, Tarkovski ou Roger Waters, pour finir en explosant “je suis un passionné !”. Sans fausses notes, ni l’ombre d’un doute.
Sophia Marchesin (agenda culturel No. 409 du 5 au 18 Octobre 2011)
Harout Fazlian - Tamer of Musical Colors
Orchestral conductor, professor of music in the National Higher Conservatory of Music in Lebanon, Harout Fazlian has over the last twenty years always been a prominent figure on the Lebanese musical scene while at the same time developing an international career. Come and meet this passionate lover of art for whom music rhymes with color, energy, breathing and philosophy!
He still remembers when he was seven or eight years old the sight of a vinyl sleeve and a record-player, a small piece of furniture enthroned in the sitting-room. He remembers having switched off the light and turning on a battery-powered torch in order to play with the beam at arm’s length, as if beating time to Beethoven’s Ninth Symphony, which he was hearing for the first time. Beethoven represented his first musical memory, his first companion too, one whom he now calls familiarly “my boss” or “my guide”.
Harout Fazlian has been an orchestra conductor for the last twenty years. When he speaks of his vocation he recalls unendingly the color, the paint, the respiration of the music that a good conductor knows how to choose. His baton is a magic paint-brush and the orchestra is his instrument: “The conductor of an orchestra does not change the music but gives it another color. The important thing is to express the colors in the music by choosing the right angle for reading it.”
With his mother a painter and his father a stage producer, always brushing against artists, he found the odor of pots of paint and theater rehearsals all part of his daily existence. “The first thing I ever saw or heard was art, as if I had been born backstage in a theater. The stage is my second home.”
Traveling East and West
Then with war breaking out in 1976, his family emigrated to Montreal. Harout had already begun to learn to play the piano and the violin at the Beirut Conservatory. He continued his classical education in Canada, and then discovered Rock and at the age of fifteen formed his own musical group. At the age of twenty-two he went to Armenia, already resolved to be an orchestral conductor. Armenia was one of the fifteen republics making up the Soviet Union, and the Conservatory of Erevan was reputed for its high quality, on the model of the one in Moscow. Armenia was also the country of birth of his parents, concerning which he knew no more than his mother tongue.
“It was a real case of culture-shock; from Montreal to Moscow it was a 180-degree turn! But it was a good choice, for in those days there were few distractions there and I was lucky. Being of a studious nature, I studied madly! Literature, music, philosophy, a real intellectual profusion! It was an unbelievable period for me, which I would gladly go through again in exactly the same way if I were called upon to start again at the beginning.”
In 1990 with his diplomas of choir conductor and orchestral conductor in his pocket, he returned to Montreal, where he launched himself on his career by directing small orchestras. Then in 1992 he won second prize at the Czech music competition with the jury’s special prize for the best interpretation of Dvorak’s Eighth Symphony and of his Carnival Overture
A Lebanon to be remade
In 1996, his father, the producer Berj Fazlian, put on a play in Beirut. The Lebanese Higher National Conservatory of Music was looking for qualified professionals, so a post as professor of music was offered to his son. “It took me less than two seconds to make up my mind and say Yes!”
At his first return to Lebanon, Harout discovered a scene from which classical music was absent and without a national orchestra. “During the nineteen-nineties, everything had to be imported, which was bad. Importing culture as in the Gulf countries is only plastic, which doesn’t really work. It was up to us to build everything from scratch.” First he organized a choir and held small concerts which, to begin with, attracted those who were merely curious. Starting in 1999 he took part in the creation of the first Lebanese symphony orchestra, drawing a full house, and then conducted concerts in more than twenty countries. Harout further collaborated with outstanding personalities on the Lebanese artistic scene such as Henry Zoghaib, Julia Butros, and also Feyrouz.
Thinking art and music, taking an audience to their limits
Today his role as conductor of an orchestra in the face of his students and the general public is above all one of education. He prepares them to listen, to appreciate the different subtleties of music, and to take his audience as far as they can go, no longer mere spectators comfortably seated. “Classical music demands real work from the listener, for it combines emotion, attention and thought. Rock music is all violence and tension; the body shakes and the emotions are direct. This is sometimes true of classical music, but this takes us into a world of thought, of memories, of reflection, into corners forgotten consciously or otherwise, or into places still unknown. Who in these days is ready to take time to do all this?”
For if, as the Italian cinema producer has said, “...culture is resistance to distraction,” for Harout Fazlian “...the problem is not that amusement has come to take first place before art, for one needs both. But we are being persuaded that amusement is more important than art, which latter has now become secondary and of minor concern, and this is dangerous. Why? If you wish for a robot society, one of human cabbages, you amuse them so that they will not feel the need to think about themselves or about others.”
An orchestral conductor who dominates his thinking as he dominates his music, who excites people’s consciousness, which he colors with pictures, a man who puts rhythm into his sentences, punctuates them with silences, plays with dissonance, speaks of correspondences and of a common philosophy shared by Brahms, Wagner, Beethoven, Dostoievsky, Tarkovski and Roger Waters, ends by exploding, “I am mad over art!” such is Harout Fazlian, without false notes or the shadow of a doubt.
Sophia Marchesin
Translation from the French: K.J.M.