Quand les mots deviennent image - Pour une lecture des écrits poétiques de Georgé Chanine
Quand les mots deviennent image - Pour une lecture des écrits poétiques de Georgé Chanine
L'œuvre picturale et l'œuvre poétique chez Georgé Chanine se fécondent mutuellement. Alors que ses écrits proposent une méditation sur sa peinture, celle-ci, à son tour, dévoile la couleur de ses mots. Quelques poèmes sans titres des Transfigures nous invitent à cette rencontre entre les mots et l'image.
« J'ai l'Afrique dans le sang, le continent noir… » (Liban-93). Ce vers central et fondateur est le point de départ de cette lecture où l'Afrique natale se présente comme une expérience fondamentale. Le rêve africain, avec toutes les connotations exotiques qu'il nous laisse voir et entendre, expérience mystique ou appel à un paradis perdu, où le « je » tente de se rejoindre, est au cœur de la recherche esthétique de Georgé Chanine. Le continent noir, tout entier contenu dans le sang du poète, illumine de son rouge et noir l'espace textuel et conceptuel des Transfigures, se présentant comme un ailleurs appelant à toutes les investigations, à toutes les explorations faisant de l'expérience esthétique un fabuleux voyage (Répliques…Liban-85).
Cette quête se vit néanmoins sous le double signe d'un inconnu désirable indésirable (Et si l'on parlait… Paris-76/78) métaphorisé par un gouffre qui suggère étrangement ces trous noirs dans la peinture de Georgé chanine, ou le réel se déréalise, s'évanouit, étouffe, se détruit et chavire. Aussi, s'il arrive à Georgé Chanine de parler de ses couleurs, c'est en revanche le noir qu'il nous montre:
« …ce vide se vide encore et les noirs transparaissent davantage » (Au tournant d'une esquisse… Liban-92), un noir, dont l'épaisseur nous met au cœur même de l'expérience humaine de Georgé Chanine, mais qui révèle par-là même, l'idée d'une mort transfigurée. Le noir est alors un lieu de naissances et de potentialités multiples, le non couleur à partir de laquelle toutes les couleurs sont à nouveau possibles, cette dense profondeur de laquelle émerge la violence d'un rouge vif, la nuit fondamentale qui précède la fulgurante création. Georgé Chanine le dira: « La destruction de la matière, je la considère comme l'étape par excellence de l'avant création » (Le Journal de l'artiste Liban-82). Dans cette transfiguration, les gouffres deviennent profondeurs à explorer, les tunnels sont des passages, le mur sur lequel on se cogne les yeux n'est plus que limite à dépasser, Par-delà le vide le poète entend chanter et la voix d'étouffement se transmue en voix basse de l'histoire fredonnée du griot africain. Dans la nuit noire et pleine de promesses s'instaure un long dialogue avec les choses, transgressant les limites décentes du monde visible (Au tournant d'une esquisse… Liban-92), celles de la nuit vers un au-delà de la nuit où se jouent les ultimes révélations. Dès lors, l'expérience poétique est une aventure de l'esprit vers l'inconnu impalpable où le « Je » devient un autre:
« Je suis qui m'éclaire qui me détruis
Je suis qui me recrée dans l'inconnu ». (Et si l'on parlait… Paris-77/78)
« (…) Seconde imagination
seconde réalité
quand les mots créent mes images
quand la transfiguration me recompose
en un autre Moi. » (Des parts de natures départagées… Liban-93)
Nayla Tamraz