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Sonia Nigolian

Poet and Writer

Née à Beyrouth, au Liban.

A fait ses études primaires et complémentaires chez les Sœurs de Besançon, et ses classes terminales au Lycée Français de Beyrouth.

Etudes de Pédagogie et de Psychologie de l’Enfant à l’Ecole des Lettres.

Ayant obtenu deux bourses d’études, elle a poursuivi ses études à Paris, en France, où elle s’est spécialisée dans la méthode de l’enseignement aux adultes de la langue française, par la méthode audiovisuelle.

A enseigné durant deux ans avant de se marier au Dr Nigolian.

En 1974 elle débute sa carrière journalistique avec Dikran Tosbath, propriétaire du journal d’expression française « Le Soir. »

En 1975 elle intègre l’équipe de « La Revue du Liban » où elle y travaille toujours.

Dans « La Revue du Liban » Sonia Nigolian, à part sa rubrique « Regards » consacrée aux Arts et aux Lettres, se penche également dans ses articles, sur tout ce qui touche la communauté arménienne et la politique de la République d’Arménie.

A cette fin, elle a effectué plusieurs voyages dans ce pays, répondant à l’invitation du Chef Suprême de l’Eglise, le catholicos de Tous les Arméniens.

Suite à ces déplacements, plusieurs numéros spéciaux consacrés à l’Arménie, à la guerre du Nagorny- Karabagh ont vu le jour dans le cadre de « La Revue du Liban »

Ardent défenseur de la Cause Sacrée de tous les Arméniens, Sonia Nigolian milite également par ses écrits, pour la reconnaissance du Génocide arménien, le premier de l’Histoire, resté jusqu’à ce jour impuni.

Elle consacre chaque année le 24 avril de nombreuses pages à la reconnaissance de ces faits historiques que nient encore les grandes puissances, au nom de la Mémoire.

Sonia Nigolian à part ses activités journalistiques est également l’auteur de quatre ouvrages.

En 1993 elle édite «J’ai jeté l’Encre en Terre Sacrée» aux éditions du catholicossat de Cilicie.

Dans ce volume de 225 pages, par des poèmes, elle exprime son amour pour cette Terre d’Arménie qu’elle découvre pour la première fois, en 1991.

La préface de ce volume été rédigée par sa Sainteté le catholicos Karékine II qui écrit : « Sonia Nigolian, par cet ouvrage devient le témoin de ce peuple secoué. Son témoignage est profondément émouvant parce qu’il dépasse les limites de la pure narration de caractère journalistique et de portée historiographique. Ce qu’elle a vu en Arménie et de l’Arménie, elle le transmet en le passant par le filtre de ses émotions, de ses pensées, de son angoisse et de son amour. Comme je l’ai ressenti dans son récit, le sujet et l’objet se sont entrelacés et sont devenus indissociables. Le témoignage s’est ainsi converti en poème donnant à la réalité une interprétation plutôt qu’une description : interprétation profondément personnalisée A un tel point que dans toutes les pages on sent que l’auteur a réellement « Jeté l’Encre en Terre Sacrée. »

A travers ses lignes, la terre a cessé d’être pure terre, les montagnes ne sont plus des cimes dans l’espace, les plaines des étendues planes, les hommes de simples citoyens … Ils ont revêtu les sentiments et toute l’empreinte spirituelle d’une personne chez laquelle existaient depuis l’enfance comme un silence éloquent.

L’aisance de l’expression, la fluidité du style, la musicalité des mots et l’abondance des métaphores font de cet ouvrage littéraire le récit d’un pèlerin qui voit les choses avec les yeux de l’esprit. »

EXTRAITS DE DEUX POEMES

ARMENIE D’OMBRES ET DE LUMIERES

Entre cris et chants
Entre ombres et lumières
Sous un ciel immense
Avec un vent qui décoiffe les champs de blé,
Avec un lac qui rêve d’océan,
Est un pays entre passé et présent.
Une terre-offrande, une terre-silence, une terre-musique
Où quand les notes se déchirent aux épines des roses,
Quand le chant se heurte aux branches les plus basses des abricotiers,
Des jeunes filles aux cheveux de nuit viennent les cueillir
Pour les porter en guirlandes
Sur leurs fronts de nacre pour leur bien-aimé.
Ici chaque pierre raconte une histoire,
Des histoires qui témoignent d’un pays infini
Où l’on a retrouvé la voix de l’âme
Et le mystère des pierres perdues.
Ici on n’a plus d’âge
Ici on mourra demain.
Pays de la mémoire qui nous promet le plus court chemin vers l’arc-en-ciel. »

MINUIT

« Est-il minuit
Et si quand bien même sonnent les douze coups
De l’horloge du temps,
Dis- le- moi doucement…
Minuit me fait mal.
Minuit de ma vie, glas de mes rires, de mes amours aussi.
La nuit tombe sur ma tête.
Noire. Béante. Profonde.
Je me perds, m’enfuis de moi
Je tends les bras pour cueillir un bouquet d’étoiles
Je n’ai plus de jambes pour courir vers toi.
Laisse-moi encore une fois redevenir cette petite fille
A la robe jonquille des champs
Laisse-moi revoir encore une fois nos montagnes opalines
Plongeant dans un lac étale.
Ce soir j’effeuille une marguerite…
Que personne ne m’a donnée
La marguerite d’une saison oubliée
Je t’aime un peu. Beaucoup…
A la folie.
A la folie la vie
A la folie mon pays couleur de nuit,
De cendres et de gris.

En 1995, Sonia Nigolian édite un roman : «Images à Contretemps» où elle narre l’histoire d’une famille vivant en diaspora.

« A l’âge des contes et légendes, à l’âge où toutes les princesses étaient des belles au bois dormant, dans nos histoires d’enfant, les fées étaient absentes….

Nos princesses tristes avaient pour noms Atsghig, Anahid, Lilith, et les preux chevaliers, épée à la main mouraient toujours sur un champ de bataille, avant les épousailles…. »

Dans ce récit qui est largement autobiographique Sonia Nigolian met en scène l’histoire de ses grands-parents, celle de sa grand-mère, la sœur du héros national arménien Archavir Chiraguian, qui a vengé son peuple en liquidant les principaux auteurs du génocide arménien et qui, elle aussi, a connu les prisons turques.

Ce livre est aussi prétexte a son auteur de raconter les traditions de toutes les familles arméniennes de la diaspora, soucieuses de préserver leur identité… Dans cet ouvrage Sonia Nigolian avec une plume trempée dans le doux et l’amer écrit :

« Mon enfance m’a quittée sur la pointe des pieds. Cette enfance vécue dans l’insouciance et l’amour…

Je garde encore, entre mes songes et l’ouverture d’une persienne, un rayon de soleil taquinant ma mémoire, qui m’emmènera dans ce jardin qui sentait la campagne au cœur de la ville….

Je veux transporter dans mes bras cette montagne de souvenirs, pour ne pas oublier la petite fille que je fus, qui tentait de joindre les étoiles à la terre.

Une seconde à l’éternité.

J’ai grandi brusquement un jour, à la vue d’une belle jeune femme, habillée de noir et de blanc, se tenant debout, une main posée sur une commode, A son cour un foulard.

Elle, c’était Elise, ma grand-mère.
La photo était sertie dans un cadre en argent et portait en biais un ruban noir.
C’était un petit soir glacé, un soir où l’odeur de la mousse se mêlait à celle du poivrier.
La ville, ce soir-là ne dormait pas avec tous ses néons, qui, par petits coups de lumière tentaient de brûler les ténèbres.
J’ai les oreilles remplies de silence… De ce silence qui comme une vague d’écume déferle sur moi en chute lente.
L’inquiétude gagne la maison, s’installe dans tous les recoins, dans chaque pli de mon âme.
Ce soir-là, la lune reste lointaine, collée à la voûte des étoiles…
Sous la lampe qui distille une lumière avare, père, les joues bleuies par la barbe, chuchote à l’oreille de ma mère de lourds secrets qui la font pleurer.
Il y a dans l’air, cette odeur tenace de désinfectant et d’encens refroidi qui vient en effluves de la chambre de grand-mère.
De la porte ouverte, s’échappe un parfum d’absence….
Je vais à la dérive …
En naufrage mes rires et tes promesses grand-mère d’un long voyage dans ces terres, où à minuit, des femmes chantaient encore des paroles étranges.
Père me regarde, et ses larmes glissent en silence, creusant des sillons argentés sur ses joues.
Les sanglots secouent sa poitrine, comme après une longue course.
Je l’interroge du regard pour cegrand lit vide. Je fixe les draps blancs, une couleur insolente pour cette nuit de grande douleur.
Je tiens la main de père. Sur mes lèvres, mes mots se meurent.
Il n’a pas eu besoin de me parler. Les mots font parfois plus mal que la piqûre d’un scorpion.
J’ai alors compris qu’une volonté supérieure qu’il fallait accepter, sans pour autant la comprendre, rendait vaine toute promesse.
L’enterrement fut atroce. Il pleuvait des larmes.
Grand-mère fut enchâssée dans le grand vide d’un trou noir.
Mais je savais que la lumière et l’espace envelopperaient sans limite, son âme.
Pardon grand-mère d’avoir ignoré la fatigue de ton visage, de mes éclats de rire à chaque page arrachée d’un calendrier qui te rapprochait de l’instant qui allait t’éloigner de moi.
C’est cela l’enfance…Une insolence.
Des voix me murmuraient à l’oreille des mots tendres, entre deux baisers mouillés.
J’avais sur les lèvres une ébauche de sourire.
Mes parents n’avaient pas compris alors, que je dialoguais avec grand-mère, au- delà de la mort…. »

En 1998 elle écrit : «Cantates pour Nuits de Lunes Mortes.»

Dans cet ouvrage de 130 pages Sonia Nigolian une fois de plus fait appel à la poésie.

Préfacé par un auteur français Michel Adenis, on peut lire : « Comme d’autres ont versé leur sang ou leurs larmes, Sonia Nigolian verse ses lignes tendres ou tranchantes, en souvenir d’un pays qu’elle personnifie pour mieux le serrer contre elle, tant la poésie est faite de chair vive et d’émotions ardentes…Il est bon de l’écouter en s’abandonnant à ses images foisonnantes qui évoquent, hier comme aujourd’hui, la douleur et la douceur de vivre, le désir et le désert de l’amour, les jours de deuil, les jours de fête, et par-dessus tout la ferveur obstinée des saisons, peu soucieuses de la folie des hommes, à répandre les couleurs et les parfums sur une terre accueillante ou meurtrie…

Avant que ce siècle ne se referme que l’on reconnaîtra sans doute comme l’un des plus meurtrier de tous les temps,avant que les historiens ne s’appliquent à dépassionner les enjeux, à cerner la vérité dans la nudité des faits, il est bon d’écouter une voix, celle de Sonia Nigolian, mettre en « cantates » ces heures que vécut un peuple arraché à ses racines. »

PRINTEMPS MAUDIT II

Un temps d’ailleurs s’égrène dans ce pays
Au détour de chaque chemin
La muraille des rochers veille sur des espaces sans tombes
Nés de toi, tes fils te sont revenus
Tout ici s’acharne à se souvenir…
Plus jamais ne verrai vos lèvres entrouvertes
Plus jamais n’entendrai vos prières murmurées.
Telles des branches de sycomore frappées par la foudre
Vous dormez brisés, vos joues contre l’humus noir,
Dans ce cimetière peuplé d’âmes sans noms
Ce désert, qui vous a recouverts de son linceul de sable.
A l’ombre des crépuscules je tisse le voile de mes pensées…
Oints de la même huile
Nous n’avons pas trouvé la même mort.
Vous avez donné votre sang au goutte-à-goutte des ténèbres
Vos âmes ouvertes ainsi qu’une fleur
Hommes de mon pays
Vous avez voulu la plus profonde mes morts
Traînant dans la poussière, la mémoire des soleils.

PRINTEMPS MAUDIT V

Dors mon enfant, ma douce
Tu ne vogueras plus comme un marin déboussolé
Sur les vagues de la vie
Plus jamais ne te blesseras aux récifs pointus
Ton mât s’est brisé sous la tempête des jours…
Dors mon petit, mon ange
Je te couvre de pétales de roses et de parfums brûlés.
Des vagues de feu ont emporté ton navire
Tu vogues désormais tel un prince pirate en mer étrangère
Pillant la nacre des coquillages arrachés à l’écume…
Dors mon amour, mon âme
L’aurore sur tes yeux ne se lèvera plus.
Ton coeur ne saignera plus aux cris des mouettes.
Ce soir la terre pleure un enfant
Qui riait quand il jetait son filet pour attraper des étoiles…

En 2000, elle fait paraître un nouveau titre : «Eclats de vie»

Dans ce nouveau livre, Sonia Nigolian parle de « sa » guerre », la guerre du Liban.

Sous forme de correspondance, elle nous livre ces heures « affolées qui avaient perdu la boussole du temps… »

Comme un long chant d’amour l’auteur, au fil des lettres, s’enfonce avec sa terre dans le délire d’une guerre qui lui échappe.

Un livre violent et tendre à la fois où, partant des faits réels, Sonia Nigolian emporte le lecteur dans l’enchevêtrement des mots, ces mots qui la sauvent alors qu’elle n’est plus « qu’un fauve prisonnier qui n’arrive plus à sauter dans le cerceau de feu d’un jongleur… »

Ce soir dans l’abri pèse un lourd malaise fait de souvenirs et d’amertume.
Des héros sans nom vont vers la mort, la terre s’ouvre, les engloutit.
Personne ne viendra les arracher à ces fosses anonymes…. »
Un peu plus loin elle écrit : « Tout dérape, tout échappe, nous échappe sous la poussée de ce temps qui nous hait.
Il est inutile de crier dans le vide notre dégoût. On a laissé tombé nos masques…Tous frères d’angoisse et de deuil.
Il est l’heure où tous les désespoirs sont rendus à leur juste valeur. Ma ville ne se révolte même plus et se prête au jeu funeste de ses fils, clivés dans leurs différences et leurs idéologies.
Beyrouth est devenue une cité apocalyptique, s’épanouissant monstrueuse, se prostituant derrière ses lignes de démarcation et ses barricades … »

Dans « Panorama de la Poésie libanaise d’expression française » Najwa Aoun Anhoury écrit à son sujet :

« Femme de lettres au goût raffiné, Sonia Nigolian s’est fait un nom dans le journalisme francophone, s’imposant progressivement comme critique d’art avisé. Ses chroniques qu’elle publie régulièrement dans « La Revue du Liban » révèlent un sens aiguisé du Beau artistique. Mais quand elle a eu à faire face au drame qui déchire l’Arménie, son pays d’origine, elle a choisi la poésie pour traduire la houle des sentiments qui la submergeaient. « J’ai jeté l’encre en terre sacrée » est le titre d’un recueil de textes-manifestes où les ressources du Verbe se plient au cri du cœur, au regard du témoin bouleversé, à la honte et au désarroi. Pour Sonia Nigolian, écrire des poèmes implique l’engagement de l’être dans sa totalité. Son écriture frémissante d’émotion et de colère, réussit à donner une vision saisissante de la tragédie d’un peuple et d’une nation meurtries par l’Histoire et le Destin… »

Dans « Le Dictionnaire de la Littérature Libanaise de la langue Française », Ramy Zein, aux éditions l’Harmattan, écrit :

«Conjuguant effusions lyriques et élans de mysticisme, souffle épique et litanies incantatoires « J’ai jeté l’encre en terre sacrée » s’inscrit dans la lignée de la poésie populaire arménienne.

L’Arménie des couleurs, l’Arménie de la douleur dans les tranchées fangeuses du Karabagh ou les ruines de Cumri, détruit par le séisme de 1988 ; l’Arménie de la multiplicité et des contrastes de la « rose » et du « sang noir » dont Nigolian traque les moindres nuances avec une fervente obstination.

« Images à contretemps » rassemble des « morceaux de mémoire épars », des images furtives qui se succèdent sans raccords artificiels ni longues tirades. La narratrice nous guide à travers les vestiges de son enfance dominés par une figure tutélaire : la « Mamoulicha », sa grand-mère vénérée qui lui inculqua l’amour de l’Arménie

C’est d’ailleurs su les mots de cette grand-mère que s’ouvre le recueil pour se refermer, 5O ans plus tard et 22 chapitres plus loin ; sur les mots presque identiques d’une autre grand-mère : la narratrice elle-même, s’adressant à son petit-fils Joseph. Tandis que l’une disait : « Il était une fois mon pays d’ambre et de merveilles, où le ciel était encore plus grand que la terre », l’autre affirme : « Il est un pays d’or et de merveilles où le ciel est encore plus bleu que tous les bleuets des champs. »

« Il était une fois mon pays », « Il est un pays »…La différence notable entre les deux discours, outre l’emploi ou non de l’adjectif possessif, réside dans le temps utilisé ici et là : le passé pour « Mamoulicha », le présent pour la narratrice. Une nuance capitale, l’Arménie n’appartient plus au royaume subjectif du souvenir, elle est désormais une réalité objective, parce que redevenue ac.

L’écriture de Sonia Nigolian semble apaisée dans cet ouvrage. Le torrent impétueux du premier livre a fait place à une rivière tranquille et souveraine, à peine effleurée de quelques brises passagères. On se laisse bercer par ces « Images à contretemps », comme par les accords d’un « saz », instrument de musique qu’utilisaient, jadis, les troubadours arméniens.