Par Joseph Sokhn, Couleurs Libanaises Tome 3 Beyrouth
Peintre
Nul n’ignore que le peuple arménien a réussi non seulement à assurer un des relais, pour certains motifs ornementaux, entre l’Occident et l’Asie Mineure, mais a découvrir des solutions originales dans ses édifices religieux, à des problèmes que l’art roman devra seul résoudre. C’est pourquoi les œuvres de Torossian révèlent, principalement, la découverte de la vérité et la stabilité de la nature humaine. Il peint également des fleurs et des paysages libanais de la haute montagne. L’ensemble de ses toiles dégage des impressions nouvelles.
Vie et enfance
Il y a soixante-quatre ans, le 24 avril 1915, commençait à travers l’empire ottoman un des génocides les plus barbares de l’Histoire, celui des Arméniens. Certes, le poids du génocide est lourd. Talaat Bey pouvait dire à l’Ambassadeur des Etats-Unis Morgenthau: «J’ai fait plus en trois mois qu’Abdel Hamid en trente ans». En effet, les pertes sont considérables, les massacres auraient fait plus d’un million de victimes. Quant aux pertes culturelles et artistiques, elles sont inestimables. Or, parmi les survivants qui échappèrent par miracle au génocide, figure le père de Haroutioun Torossian.
Cinquante personnes de sa famille (frères, sœurs, neveux, nièces, cousins et cousines furent sauvagement massacrés). Sa mère, Horopick, née au sein d’un milieu artistique et culturel, réussit avec Stephan, son époux, à se cacher, et plus tard, à se rendre au Liban, avec les autres réfugiés arméniens. Et c’est précisément, à Bourj-Hammoud, que naquit Haroution Torrossian en 1933. La famille Torrossian est composée de cinq filles et de deux garçons. Gulène Torrossian, l’aînée est peintre et fait de la sculpture.
La vie du jeune artiste Torrossian est marquée d’une touche de fantaisie. Une enfance assez mouvementée, aucun penchant pour les études; par contre, avec quel soin, quelle délicatesse cet adolescent ne dessine-t-il pas des oiseaux, des animaux ou des arbres qu’il offre à ses camarades de classe ou à ses professeurs. Il dessine même beaucoup. C’est pourquoi, ses camarades l’ont surnommé « Le jeune artiste des Frères Arméniens ».
A l’Académie des Beaux-Arts
Après les études secondaires et universitaires (Ecole Supérieure des Lettres) Haroution Torrossian s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts, dirigée par Alexis Boutros. Il avait comme professeur César Gemayel. Ainsi, notre jeune artiste commence à expérimenter, pinceau en main, tous les procédés, toutes les techniques que l’Académie lui propose. Malgré les influences nombreuses et diverses qui s’exercent sur lui, il reste lui-même et adapte à sa propre personnalité les leçons de Gemayel et celles des autres professeurs. Sa première exposition eut lieu en 1954 à l’Université Américaine. Pour la première fois, une impression de force et d’ambition se dégage de lui. Il avait vingt ans. Ses toiles représentent des paysages, des motifs religieux et des tableaux pleins de vie se rapportant à des scènes de vie de la campagne libanaise.
Torrossian à Paris
A Paris, Torrossian se présente comme un combattant plein de courage. La capitale de l’Art l’enchante, les grandes avenues, les boulevards et la Seine le plongent dans l’ivresse. Il peint sans arrêt durant cinq ans. Il regarde, scrute, analyse les œuvres des grands maîtres. Son entrée à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris le plonge dans un monde nouveau. Ce monde, il l’explore avec avidité. A ses moments de loisir, il visite les musées, les galeries d’art et fréquente les maîtres anciens. Il se rend presque chaque jour au Louvre et demeure rêveur devant les toiles accrochées, devant ce monde nouveau et merveilleux qui se révélait a lui. Il fréquente également, durant son séjour à Paris, l’atelier du professeur Souverbi (tendance cubiste).
En 1957, Torrossian expose 20 toiles au Salon de la capitale française. La fonction de son imagination créatrice consistait seulement à présenter à sa façon ce qu’elle voyait… Des amoureux au bord de la Seine, des clochards, des paysages.
En 1958, Torrossian fréquente l’Atelier de Bianchon (tendance de l’Ecole traditionnelle française).
En 1960, il s’inscrit à l’Academie Libre de la Grande Chaumière, puis il fréquente également l’Académie Julien.
Onze ans dans la capitale de l’Art, firent naître dans son cœur une nouvelle conception de la vie parisienne, et de ses habitudes et la soif d’exprimer toute la richesse de la spontanéité de la vie de l’homme en général. Tous ces facteurs ajoutèrent à ses nombreuses expositions à Paris, à Marseille, à Beyrouth, et en Arménie même, une nouvelle gamme d’élégance, de finesse et de réalisme.
En Espagne
Torrossian étudiera en Espagne les œuvres exposées dans les musées et fera de grands progrès. L’Espagne étant un pays très riche en trésors artistiques, son séjour fut des plus enrichissants. Il l’aidera en quelque sorte à trouver son propre style.
Les grands courants modernes notamment ceux de Goya et de Vélasquez eurent une influence marquante sur le style et l’intuition créatrice de notre jeune artiste. En un mot, les grandes villes espagnoles visitées par Torrossian lui ont inspiré plusieurs de ses toiles qui témoignent de ses sentiments profonds et de sa psychologie.
A Vienne
L’Ecole Flamande incite Torrossian à prendre de plus en plus conscience de ce qu’il cherche en peinture… Il voudrait peindre des hommes, des femmes ou des natures mortes, ou bien exprimer l’amour de deux amoureux, en exprimant sa pensée par le rayonnement d’un ton clair sur un front sombre. Exprimer l’espérance par quelque étoile; ou bien l’ardeur d’un être par un rayonnement de soleil couchant. Ainsi les couleurs acquièrent-elles sous le pinceau de Torrossian une valeur symbolique comme elles en avaient une pour les verriers arméniens ses aïeux qui, jadis, travaillaient aux vitraux des cathédrales.
Torrossian et la peinture italienne
Torrossian vécut un an en Italie. Il visita Rome, Florence, Venise, la Toscane et l’Italie du Sud. C’est la peinture toscane qui l’enchante et éveille en lui un nouveau penchant pour l’art classique. De son atelier à Rome, il brosse des autoportraits, des scènes de composition, il travaille sans modèle, s’aide d’anciens croquis pour retrouver les formes du corps humain. La grande lumière d’août approfondit encore la ferveur de Torrossian. L’automne d’Italie lui redonne une humeur plus facile, et l’achemine vers les centres d’art et les musées où les grands peintres se donnent rendez-vous au milieu de la liesse turbulente des dimanches. Il peint sans arrêt malgré la chaleur de Rome.
En Belgique
Haroution Torrossian affirme que les voyages et les séjours à l’étranger contribuèrent intensément à sa formation artistique et morale. Il acquit toutes les qualités d’un grand peintre classique, la grâce et l’élégance, la fantaisie et la vivacité lyrique, le mariage des couleurs et l’esprit de créativité. Il garde le meilleur souvenir de ses nombreux voyages à l’étranger. En Belgique et en Hollande, il fait connaissance avec trois écoles de peinture:
La Peinture Flamande.
La Peinture Italienne.
La Peinture Espagnole.
Durant son séjour en Allemagne, Torrossian a peint des tableaux typiquement classiques recherchant la forme, l’affinité et le mélange des couleurs, notamment le rouge, couleur chaude sans limites. Il a peint des tableaux d’une façon plus parfaite et plus directe, car l’influence des trois écoles mentionnées plus haut avait déjà orienté le pinceau de notre artiste.
En Amérique
Torrossian rêvait d’évasion, des son enfance. D’ailleurs, ses plus belles toiles furent exécutées à l’étranger. En Amérique, et plus précisément à Boston et à New York, il exposa en 1970, une centaine de toiles (vie de campagne, des héros libanais, des figures humaines, des paysages) et surtout des tableaux pour les enfants libanais se trouvant aux Etats-Unis. C’étaient des œuvres extrêmement personnelles avec des idées parfois surréalistes, une peinture gestuelle ou calligraphique et parfois figurative.
Expositions de Torrossian
En groupe:
Salon de Printemps et d’Automne (ministère de l’Education Nationale, Beyrouth – 1954-55-64).
Salon des Arts sans frontières (Paris 1963).
Salon de l’Eveil Artistique (Paris 1962).
Salon d’Automne (Paris 1962).
Biennale d’Alexandrie (1968).
Exposition de Peinture Libanaise (Galerie Le Vendôme 1968)
Salon d’Automne (Musée Sursock—1969)
Biennale de Paris (1969).
Salon Hamazkain (1969 et 1971).
Exposition de peinture libanaise à Bruxelles (Belgique 1969-1970).
Exposition de peinture libanaise à Koweït (1969 – 1970).
Salon de Printemps de l’Education Nationale (1967, 1968, 1969, 1970, 1971, 1972, 1973).
Expositions personnelles:
En 1960, au Club des Quatre Vents (Paris).
En 1960, au Centre d’Etudes Supérieures (Beyrouth).
En 1963, au Club des Quatre Vents (Paris).
En 1963, à l’Hôtel Carlton (Beyrouth).
En 1965, à la Galerie Cézanne (Marseille).
En 1967, à la Galerie Cassia (Beyrouth).
En 1971, exposition de gravures, Erivan, Arménie.
En 1974, à la Galerie Modulart (Beyrouth).
Conclusion:
Torrossian nous communique à travers ses toiles et ses nombreuses expositions des accents et des motifs originaux et variés. Il est un fait curieux dans les œuvres de ce peintre, on remarque souvent un certain cachet architectural arménien qui s’est affranchi des autres expressions artistiques byzantines ou grecques. Il a crée une harmonie et un ordre. La plaine de la Bekaa figure dans une dizaine de ses toiles. L’un de ses premiers succès fut un portrait du docteur Abou-Haidar, père de l’ancien ministre de l’Education Nationale.
Ancien élève de l’Académie des Beaux-Arts, Haroution Torrossian aime la beauté comme son regretté maître, César Gemayel. Tout en peignant pour lui-même, il touche parfaitement la masse. Devant les ruines de Baalbeck et l’immensité de la Bekaa, il a pu éclaircir sa palette sans faire perdre à la lumière son appui total, plus il a concentré son attention sur la couleur du sable et du ciel, plus il a réussi.
Disons, enfin, que Torrossian unit à l’amabilité et à la simplicité un esprit moderne et un certain romantisme. Il est sensible et très personnel. Son art commence comme un murmure c’est un chuchotement mystique.