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La scène artistique libanaise: Intense, Intime et dynamique par Nayla Rached

Agenda culturel n' 321 du 16 au 29 Avril 2008

Le liban n'est jamais à court de créations artistiques, même dans les moments les plus forts et les plus dramatiques de son existence. La scène artistique oscille au gré du pays, progresse, s'arrête, évolue... en perpétuel mouvement. Coup de projecteur avec Christine Tohmé, fondatrice d'Ashkal Alwan, et Omar Rajeh, fondateur de Maqamat Dance Theater.

Après le boom florissant de 2005, suite aux bouleversements politiques majeurs qui ont secoué le Liban, le pays commence progressivement à sombrer dans le statu quo et l'apathie. Avec, en toile de fond, le fantôme de la guerre, le fanatisme et la division manichéenne mondiale, alors que la région risque à tout nomment de s'embraser...

Ce discours peut sembler déplacé dans ces pages culturelles, mais au fond, il est inhérent à la culture. En quelques mots, Christine Tohmé résume l'état de l'art au Liban: "La scène artistique libanaise est identique à la situation politique du pays. Intense, nomade et inconsistante".
Depuis plus d'une décennie, l'association Ashkal Alwan est née de l'amour de Christine pour son pays, pour Beyrouth "qui mérite tellement mieux", avant d'éclore sous forme d'installations dans le jardin de Sanayeh. C'était en 1994; Beyrouth se remettait des affres de la guerre, plonge en pleine réadaptation. Entre autres reconstructions, celle de l'expression artistique. Et le chemin se poursuit... parsemé d'embûches, d'obstacles, de défis, de victoires mêmes minimes ou imparfaites. Christine Tohmé ne cache pas son appréhension: "Certes, la scène artistique est dynamique, mais combien de temps peut-elle encore durer?" Pour la fondatrice d'Ashkal Alwan, le problème réside dans l'inconsistance de cette scène. "Je ne crois pas trop au concept de la résistance par l’art. Notre résistance est d’essayer d’être cohérents et de penser à la manière de continuer". Cela se traduit par la critique, l'autocritique, la réflexion et le dépassement.

Et c'est ce que tente actuellement de faire Omar Rajeh: instaurer et ancrer au Liban la culture de la danse moderne, à travers son association Maqamat Dance Theater, le festival Bipod (Beirut International Platform of Dance) et Project Zero.

Autant de moyens pour établir une relation durable et fructueuse entre la scène et le public, le danseurs et le chorégraphes, les artistes confirmés et les artistes en herbe, les artistes locaux, regionaux et internationaux.

Et le corps se distord

Omar Rajeh estime que "la danse contemporaine est à ses débuts au Liban, mais la suite s'annonce prometteuse vu l'intérêt actuel que suscite ce genre artistique". Un intérêt dû à deux raisons principales: d'abord, la danse moderne éclate les limites de la danse classique ou traditionnelle, en offrant également une approche plus personnelle et intime au niveau du concept. Ensuite, il y a une fascination pour le corps; un corps encore tabou, il y a quelques années, et qui s'impose progressivement, au Liban et dans la région, comme un espace de réflexion, d'introspection et d'évolution. "Jusqu’où peut-on aller dans notre corps? Comment fonctionne-t-il? Quel est ce corps? Et là, la danse est essentielle".

Pas seulement la danse, mais aussi le désir et la violence qui sont étroitement imbriqués au corps. Un constat qui s'est progressivement imposé à Christine Tohmé jusqu'à constituer le thème de la 4ème édition de Home Works: Désastre, catastrophe, désir reconstruit et pratiques sexuelles. A la base de ce thème, il y a le questionnement "des discours politiques, des images transmises par les medias, qui sont à la limite du pornographique, de la recherche de l'esthétique dans la violence. Nous essayons de combattre la représentation pornographique de notre corps. Par exemple, cette année, il y aura un débat sur le sujet des kamikazes..." L'objective de ces initiatives n'est pas « d’atteindre les masses. L’art ne peut pas assurer une responsabilité, c'est le processus qui est beaucoup plus important", ajoute Christine. Il faut croire en "cette scène culturelle face aux hégémonies fanatiques sur la scène politique, pour engendrer un questionnement critique, pour effleurer la surface", ou plus exactement, pour reprendre ses propos, "to scratch something on the surface".

Une responsabilité réfléchie

Depuis quelques années, la conformité confortable s'est brisée, la perception artistique a évolué, le rapport de la scène au public n'est plus le même. L'art n'est plus un simple divertissement car, selon Omar Rajeh, "L'audience a une responsabilité, celle d'interagir, de se sentir impliquée et présente dans le travail artistique. L'artiste n'est pas là pour vous dire ce que vous avez envie d'entendre". Et le spectateur part à la quête de l'autre, de ces petits détails qui constituent l'altérité et l'individualité, qui ouvrent à un mode de penser autre. Cette responsabilité incombe également à l'artiste qui doit présenter un concept intéressant qui touche plus à la personne qu'à l'aspect social généralisé, à la limite de l'abstraction. L'art est le reflet de notre personnalité, notre personnalité libanaise. Christine Tohmé estime que l'évolution de la scène artistique au Liban est plus importante que dans la région. "C'est un mélange tendu, violent, mais en même temps gênant. Un lien entre le réel, la fiction et le mémoire collective, et, en filigrane, la guerre, dans laquelle nous sommes toujours plongés... Un perpétuel mouvement orageux". D'ailleurs, l'évolution naît aussi du contact et du dialogue entre les artistes confirmés et les artistes en herbe, et le vécu de chaque génération. "L'évolution artistique se situe autant dans les points de rencontre que dans les points de tension... Quand il y a rébellion, il y a forcement une séduction ou une certaine affinité".

Mais peut-on effectivement parler d'une identité libanaise dans l'art? Pour Omar Rajeh, "les libanais sont perçus d'une manière différente, notamment en Europe". Beyrouth est différente. Beyrouth sera toujours Beyrouth. Et Omar se penche sur une approche de la particularité ou de la spécificité libanaise dans la danse: "D'où nous viennent nos influences, notre mouvement corporel, notre chorégraphie? Peut-être que la langue, la calligraphie et la sonorité linguistique se transmettent dans notre mouvement corporel... Cette réflexion peut nous emmener quelque part, même s'il y a aussi la crainte de tomber dans le nationalisme, mais il ne faut pas non plus chercher à être universaliste. Il s'agit de créer quelque chose de spécial qui a rapport à notre culture, la manière de percevoir notre corps, notre langue, notre quotidien". Ou tout simplement selon Christine Tohmé "notre identité cosmopolite".