Les fresques médiévales au Liban, Un patrimoine en danger
La sonnette d’alarme a été tirée en 2005 par l’Association pour la restauration et l’étude des fresques médiévales du Liban: une partie du patrimoine historique et artistique du pays court un grand danger, celui de l’abandon, pire, de la destruction irréversible. Pour éviter que ces fresques médiévales à la valeur inestimable, ne disparaissent complètement, la restauration dans les règles de l’art devient urgente mais l’argent manque cruellement.
Les régions de Jbeil, Batroun, Koura et la vallée de la Qadisha recèlent des trésors inestimables mais pourtant oubliés. Leur histoire commence entre le XIIe et le XIVe siècles au temps des croisades et des Mameluks. A cette époque, des artisans forts d’une technique inégalable ont peint des fresques d’une grande beauté dans des églises médiévales. Aujourd’hui, ces fresques existent toujours et intéressent les spécialistes car certaines possèdent un caractère exceptionnel, des inscriptions trilingues en grec, syriaque et arabe. Pourtant, à l’occasion d’un congrès international des Etudes syriaques qui s’est tenu au Liban en 2004, quatre spécialistes libanais se sont rendus compte de l’état avancé de décomposition des fresques qu’ils faisaient visiter aux participants étrangers, eux-mêmes très choqués de l’abandon de tels trésors. Pluie, humidité, chaleur, dégradations humaines, graffiti et «rénovations mal faites», étaient sur le point de détruire définitivement ce que le temps n’avait pas effacé. La sonnette d’alarme était alors tirée. En janvier 2005, l’Association pour la restauration et l’étude des fresques médiévales du Liban, créée par les mêmes spécialistes, Dr.Suad Slim (Chairman of Antiochian Studies de l’université de Balamand), Dr. Levon Nordiguian (Directeur du musée de la préhistoire à l’USJ). Dr Nada Helou (Spécialiste de l’art byzantin à l’Université Libanaise) et Dr. Ray Mouawad (Historienne à L’USJ et à LAU), décide de sauver ce patrimoine à la valeur historique et artistique inestimable.
Un besoin d’équipes qualifiées
Pour préserver ces fresques médiévales présentes dans une vingtaine d’églises du nord du Liban (10 maronites et 10 grecques orthodoxes) la tache n’est pas si simple. Il n’y a pas actuellement dans le pays de professionnels qualifiés pour la restauration de telles œuvres d’art. En effet, les fresques demandent une technique particulière utilisant des savoir-faire que seuls de très bons artisans peuvent effectuer. Il ne suffit donc pas d’être un bon artiste et de savoir peindre. Un des rôles de l’association est donc de faire venir de tels artisans de l’étranger pour restaurer les fresques mais surtout pour former une équipe locale capable de prendre le relais. Car après avoir réuni les conditions techniques, financières et administratives, l’action de l’association comme nous le précise le docteur Ray Mouawad, devra aller plus loin en stimulant un véritable travail participatif des populations des villages où se trouvent les églises médiévales pour la préservation des fresques. Par la suite, si tout se passe bien, ces églises pourraient devenir de beaux sites touristiques et une source de revenus importants pour les villages. Le projet se veut donc à la fois culturel et social.
Un cruel manque d’argent
Concrètement pour l’instant, l’association en est à ses balbutiements, l’argent manque cruellement et peu de personnes sont au courant du problème. C’est pour cela qu’elle prépare une excursion le 4 juin prochain, pour amasser quelques fonds mais surtout pour faire découvrir certaines de ces fresques, notamment celles des villages de Kfar Shliman et Kfar Hilda dans la région de Batroun. La rénovation de ces deux églises, qui devrait commencer cette année, fait partie du «projet pilote» dont le coût s’élève à 124 000 dollars, dont 24 000 ont déjà été reçu. Chaque église nécessite environ 50 000 dollars sachant qu’il s’agit d’un budget à deux vitesses, une partie étant attribuée à la fresque, l’autre à la restauration de l’église. Cela porte la totalité du projet à 1 million de dollars. Une somme difficile à trouver à moins que les entreprises libanaises ne se décident à sauver le patrimoine de leur pays.
Toutefois l’aide arrive, doucement mais sûrement. Au niveau administratif, la Direction générale des antiquités, l’organe officiel responsable du patrimoine archéologique libanaise, a donné son accord pour commencer le projet cette année. Ensuite, l’Italienne Livia Alberti, spécialiste de la restauration des fresques et qui a effectué un merveilleux travail à Mar Mussa el-Habashi en Syrie devrait revenir bientôt au Liban avec son équipe pour débuter le projet auquel elle a déjà apporté son expertise. Antoine Fischfisch, spécialiste de la restauration architectural, qui s’est entre autre occupé des souks de Tripoli, sera de son côté, en charge de la partie architecturale des rénovations.
Ce projet, difficile mais pas impossible, s’il aboutit, sera une belle initiative, à la fois culturelle, artistique et citoyenne, au service de la communauté rurale mais avant tout au service d’un art du Moyen Age qui se perd et dont les rares traces dans notre région tendent hélas à disparaître.
Emilie Thomas