L’art public, une mission presque architecturale par l'agenda culturel
Artiste dans l’âme, architecte de formation, Charbel Samuel Aoun a décidé, en 2009, de se consacrer entièrement à ses toiles et ses sculptures. Profondément concerné par l’art public, il n’a pas hésité à saisir l’occasion de participer à la dernière exposition organisée à la Smogallery : des bancs design qui donneraient une nouvelle vie aux jardins publics beyrouthins.
En 2007, Charbel Samuel Aoun se voit refuser une bourse pour un projet d’art public dans les prestigieuses universités de Kingston et Edinburgh. Il se plonge alors dans des travaux d’architecture en attendant une prochaine occasion. Après avoir travaillé dans plusieurs cabinets d’architectes au Liban, il décide, en 2009, qu’il est enfin temps pour lui de se concentrer uniquement sur son art, un art à dédier au public, au Liban, à Beyrouth. Reçue après deux ans de travail intense de peintures et de sculptures, l’invitation de Gregory Gatserelia à participer à l’exposition des pieds de banc tombait à pic.
Un banc d’ombres vivantes
Parmi les 17 artistes qui ont participé à l’exposition ’Pieds d’œuvre’, Aoun est le seul à avoir créé une structure dépassant la taille humaine. Pour lui, un banc n’est ni romantique, ni beau, ni confortable ; il éveille plutôt l’image de personnes âgées ou pauvres, il fait penser à tous ces gens qui trouvent refuge dans les lieux publics pour se poser et profiter d’un espace qu’ils n’ont pas chez eux.
Son œuvre intitulée ’Social shadows’ ne fait donc guère référence à une atmosphère joyeuse, mais plutôt à de sombres pensées et au poids de la misère qui envahit l’espace. Sur des pieds en acier, servant de base à l’œuvre, Aoun n’a créé ni dossier, ni siège, ni accoudoirs, mais une profusion de formes s’entremêlant les unes aux autres, s’élevant à plusieurs mètres au-dessus du sol, telles des plantes grimpantes qui enserrent les âmes de ceux qui ont trouvé refuge sur le banc.
La magie de l’instant
À travers cette œuvre, l’artiste nous montre l’interaction permanente entre les formes symbolisant la nature et les émotions humaines. Laissant les formes prendre place dans l’espace, il a donné libre cours à son inspiration, au moment, à la conception spontanée qui a abouti à l’œuvre finale. Pour lui, contrairement à l’architecture, l’art ne doit pas être programmé ni même visuellement planifié. Il faut laisser l’émotion du moment se réaliser dans l’objet, en quelques mouvements libres, coups de pinceau, sensations.
Mais l’art est aussi la naissance d’une forme en rapport avec son contexte social et environnemental. Et c’est d’après lui ce qui manque à l’architecture d’aujourd’hui. Que ce soit au Liban ou ailleurs, tous les architectes reproduisent la même chose. Ils se laissent guider par les choix de leurs clients, alors que ce sont eux qui devraient éduquer les gens à la magie de l’architecture, à la nouveauté, à l’impact de l’environnement extérieur, à l’usage des matériaux locaux, à l’importance de la lumière. Mais trop souvent ils se laissent guider par les requins de l’immobilier et l’odeur de l’argent et en oublient leurs véritables responsabilités.
L’architecture, créatrice d’espaces collectifs
C’est à travers la peinture qu’il redécouvre la mission de l’architecture et de la sculpture, qui devraient interagir avec le monde qui les entoure. Ce sont des disciplines multi-sensorielles qui continuent à être appréhendées par le seul sens visuel. Quand les architectes cesseront-ils de s’en tenir à la conceptualisation visuelle ? Quand comprendront-ils l’importance d’aborder les projets dans tous leurs aspects : matériels, environnementaux, sociaux et culturels ?
Depuis l’arrivée du béton, les belles maisons libanaises aux larges balcons et aux espaces ouverts qui invitaient les gens à se retrouver partout, chez eux, dans la rue, se sont transformées en appartements clos. Les espaces sociaux collectifs ont disparu. Et pour les remplacer, on ne cesse de construire des centres commerciaux, des clubs sportifs, des complexes de loisirs et de restaurants, en d’autres mots de nouveaux espaces collectifs. L’architecture est devenue statique alors qu’elle pourrait offrir des opportunités sociales gigantesques. Au même titre que la sculpture, sa vocation est d’être vivante, d’évoluer toujours et encore, de créer des espaces collectifs entre les individus, des interactions, de la vie.
Hélène Bohyn - January 2012