Compter les nœuds avec les tapis de Camille Khairallah
Lorsqu’il a ouvert sa boutique Tribal Rugs de la rue Clémenceau il y a deux mois, Camille Khairallah était loin d’être un novice. Et s’il possède en magasin quantité de pièces magnifiques, c’est aussi en l’écoutant parler que l’on mesure la valeur des objets exposés.
Le hasard fait bien les choses
En 1975, alors qu’il est encore un tout jeune homme, la guerre sépare Camille Khairallah de ses camarades de jeu, et c’est ainsi qu’il se retrouve à feuilleter un beau livre ayant les tapis pour sujet. D’autres suivront, "d’une façon un peu désordonnée", confie-t-il, amusé. Le tapis n’est pas une affaire de famille, et c’est sur le tas que le futur spécialiste se forme. Deux ans plus tard, grâce à un prêt paternel, il achète son premier tapis. Quand il le revend un peu plus tard, il s’achète d’autres livres, il élargit des connaissances, et ainsi débutent les affaires et la passion d’une vie. Car loin d’être appâté par le gain, Camille Khairallah se laisse avant tout séduire par la technique et l’histoire. Comment un tapis se fabrique-t-il, qui sont les tisserands et d’où viennent-ils ? Qu’ils soient turcs, persans, ou caucasiens, c’est la méthode de concevoir qui permet de classer les tapis. Les tapis de cour, objets de prestige, cadeaux que s’échangeaient les grands d’un autre temps, sont les plus rares. Les tapis d’atelier, plus courants, sont le fruit d’un travail collectif, de l’ustaz qui conçoit ses motifs, jusqu’à celui qui rase, en passant par les tisserandes ; produits en de multiples exemplaires, ils sont essentiellement destinés au commerce. Les tapis ruraux pour leur part sont le résultat de l’improvisation, eux aussi destinés au commerce, ils peuvent cependant faire l’objet de commandes personnelles.
Tapis nomades
Mais c’est sur le tapis tribal que Camille Khairallah cristallise toute sa passion et son énergie. Aboutissement du travail d’une seule personne, le tapis tribal se distingue par là de tous les autres. Toujours en pièce unique, il concentre toute l’attention de son créateur et n’est que rarement destiné au marché. Les motifs traditionnels propres à chaque tribu, transmis avec beaucoup de liberté, laissent le créateur libre de les interpréter. Parfois porteurs de signes superstitieux, ces tapis sont tout entier dévoués à la couleur et aux motifs. Si la finesse de l’exécution est secondaire, elle varie tout de même en fonction de l’usage. Plus de raffinement pour les intérieurs, un peu moins pour les ornements extérieurs. Velours, kilims, Sumac, Jajim ou brodés, les plus anciens modèles qu’il est encore possible de trouver datent du début du XIXe siècle. Mais l’amateur a toujours affaire à une antiquité, les plus récents étant à chercher du côté des années 30 et 40.
Si sa rareté et son ancienneté déterminent sa valeur commerciale, choisir un tapis tribal suppose toujours d’avoir recours à la plus grande subjectivité, "je ne dis jamais à un visiteur que celui-ci ou celui-là est beau, ou pas cher", explique l’expert, "et je dis toujours que je ne vends pas des tapis, mais que j’essaie de les faire acheter".
Thomas Chikh
Gabbeh de Kuhgiluyeh. Luristan (Ouest de l’Iran) - début 20e siècle – 113x160 cm - Ce n’est pas la peine de passer par toutes les écoles artistiques pour arriver à la pureté du graphisme moderne que traduit cette pièce exécutée principalement à l’aide de laines non teintes.
Gabbeh (tapis matelas) des tribus Luri (montagnes de Zagros - circa 1935 - 111x183cm - Si le décor de ce tapis n’est pas commun et s’il traduit une grande créativité et une audacieuse attraction visuelle, son sujet est vécu par les tribus au quotidien et la complicité de leur existence est mutuelle.
Kude (nord ouest de la Perse) - Début 20e siècle - Le charme de ce tapis réside dans la chaleur des couleurs et dans les motifs mis en évidence en paire dans le champ central. Ce qui attire le plus l’attention sont les deux figures humaines au narguilé. Le spectateur lui n’a pas besoin d’opium pour s’extasier.
Baluch Afgan, (Ouest de l’Afghanistan) circa 1800, 82x141 cm - Ce tapis largement antique est non seulement rare par son âge mais surtout par le fait qu’il n’a a l’origine pas été commercialisé et n’a donc pas eu la chance d’être aussi bien conservé que les pièces rurales ou urbaines.
(Agenda Culturel)