Le lieu Liban: Portraits et sites dans l'art vidéo de Jayce Salloum par Denis Lessard
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Après avoir parcouru une exposition d'art arabocanadien tenue au Musée des civilisations à Gatineau, Québec, un visiteur mécontent a demandé: Qu'est-ce qu'une expatriée libanaise vivant à Paris a voir avec l'expérience canado arabe (1)? Cette question était en réaction à l'installation vidéo de Jayce Salloum, everything and nothing (2001), qui proposait cinq cassettes vidéo dont une comportait une interview avec l'ex-résistante libanaise Soha Bechara. L'interview de près de soixante minutes présente Bechara en gros plans erratiques, s'adressant a la camera depuis sa chambre dans une résidence universitaire à Paris, au sujet des dix années qu'elle a passées dans le centre de détention israélien El-Khiam. Le cadre de la résidence, avec son éclairage fluorescent, l'arrière-plan du mur blanc et le lit étroit, confère à la vidéo des qualités plus familières à la ‘télévision vérité’ qu'a toute forme d'art de commémoration; et pourtant, chacun des traits stylistiques accentue l'interaction contrainte entre l'artiste et le sujet. Au cours de l'interview, Salloum, de langue maternelle anglaise, demande en français à Bechara comment elle a persévéré durant et après son emprisonnement. Bechara est assise sur son lit, elle s'adresse a la camera en arabe et indique a Salloum, en français, lorsqu'elle a termine une réponse. Au milieu de cette interaction compliquée et souvent surchargée, il émerge un curieux contraste entre le statut de Bechara, la martyre vivante, et sa présence brute sous forme d'image vidéo. Cette figure mythologique, dont l'image a été diffusée pendant si longtemps sur des affiches à travers le Liban et la Palestine, devient une personnalité à voir et à entendre dans le style caractéristique d'un film amateur rudimentaire. La prépondérance des problèmes techniques, les malentendus linguistiques et les contraintes de temps contribuent a faire du projet de Salloum un portrait unique qui finit par transformer son sujet, de la figure mythologique a un espace dédié au problème de la médiation, de la représentation et de la traduction.
La question du visiteur (à savoir, en quoi cette vidéo est reliée l'expérience canado arabe) souligne les attentes démesurées voulant qu'une exposition d'art arabo-canadien, et la vidéo de Salloum en particulier, doive présenter du contenu clairement arabe et canadien. La question est donc soulevée: Que signifierait la reconnaissance d'une oeuvre d'art comme étant arabo-canadienne, puisque les bases de cette reconnaissance sont produites par le discours des medias occidentaux? En ces termes, l'image la plus reconnaissable du Liban, par exemple, serait probablement la plus familière, et c'est précisément cette image que Salloum s'applique à déconstruire.
Dans un monde télévisé ou le Liban est présente comme le théâtre d'une guerre civile, ou comme le Paris du Moyen-Orient, les vidéos de Salloum abordent les cliches de la représentation et les hypothèses désormais banales entourant le terrorisme, la résistance et l'agitation civile. Au lieu d'une démonstration ethnographique, Salloum nous offre une rupture critique, attirant a la fois l'attention sur le rôle de la camera, et fracassant les hypothèses qui entrent en jeu dans l'identification facile du Liban comme un lieu elogien, à connaitre et à représenter en conséquence. Ainsi, ses vidéos ne débutent pas avec le Liban ou Beyrouth en tant que tels, mais avec leurs représentations et la mythologie par laquelle ces derniers sont connus. Dans everything and nothing. La soi-disant expérience arabo-canadienne ne réside pas dans un seul portrait ou lieu; la vidéo crée plutôt un mouvement transformateur, depuis l'image mythologique de Soha Bechara vers le contenu discursif de l'interview. Dès le moment ou nous demandons: Ou est le Liban? Nous sommes immédiatement convies, a nous interroger sur le Liban que nous espérons trouver.
Vu sous cet angle, c'est l'apparente coupure entre Bechara et Salloum qui contribue a faire de everything and nothing un point de départ si intéressant pour une quête des liens entre le Liban et le Canada. La vidéo n'offre pas tant une exposition du récit dominant de l'histoire libanaise, ni un expose de la relation personnelle de Salloum avec le Canada, mais propose plutôt le défi même de représenter une expérience distanciée dans l'espace et le temps, et médiatisée sur les plans linguistique et technologique. Les efforts de Bechara pour se rappeler de son passe et parler de la situation présente situent la Liban comme espace discursif dont les bases se déplacent selon le moment et le lieu de l'énonciation. Qu'elle ait été tournée à Paris, à Montréal ou à Beyrouth, en arabe, en français ou en anglais, la vidéo de Salloum propose un Liban a la croisée improbable de la représentation et de l'expérience, de l'histoire et de la mémoire. L'expatriée libanaise vivant à Paris finit par avoir tout et rien en commun avec la soi-disant expérience arabo-canadienne. Ni simplement un portrait ou un lieu, ni une interview, journalistique, la vidéo de Salloum nous offre un aperçu du problème de la reconnaissance et de l'identification, du lieu et de la représentation. Si Les films [les vidéos de Salloum] n'ont rien a voir avec le reste de l'exposition comme l'affirme le visiteur mécontent, il en est ainsi justement parce qu'ils repensent les conditions mêmes dans lesquelles l'exposition, qui s'applique à représenter l'expérience arabo canadienne, est rendue possible.
Jayce Salloum et l'essai vidéographique
Depuis les débuts de sa carrière artistique en 1975, Salloum a utilise la photographie, les techniques mixtes, l'installation et la vidéo. Son travail a été présente en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Europe, au Festival de cinéma de Rotterdam, au Robert Flaherty Film Seminar et dans de nombreux musées, galeries et universités. Son projet en cours, everything and nothing, comprend cinq pâtes, dont les séquences de Bechara Paris et une vidéo, Beauty and the East, qui contient des images de l'ancienne Yougoslavie. Une partie venir traitera de la situation difficile des réfugiés palestiniens. Dans chacune des sections, Salloum aborde la relation entre l'Est et l'Ouest, la distance et la proximité, ainsi que l'interaction complexe entre l'histoire et la mémoire. Par exemple, dans son interview avec Bechara, Salloum évite les questions habituelles propos de sa torture El-Khiam, un sujet souvent aborde par les journalistes d'Europe et du Moyen-Orient, et lui demande plutôt la distance entre El-Khiam et Paris, ses réflexions propos des interviews et ses suggestions pour un titre éventuel. Dans la deuxième section intitulée Beauty and the East, qui traite de l'Europe de l'Est, Salloum s'éloigne du thème du Moyen-Orient pour se pencher sur la question de la communauté dans des lieux comme Sarajevo, Belgrade et Skopje. En conversation avec plusieurs intellectuels de renom,
Salloum élabore des théories au sujet des frontières, des nationalismes et du problème du sujet, dans tin style qui résiste à l'émergence de l'Europe de l'Est comme un espace pouvant être compris d'une manière cohérente. Les questions pointues posées dans chacune des trois sections qualifient les vidéos de Salloum de réflexions sur le statut de la représentation, sans demander qui, ou quoi, mais plutôt comment et pourquoi tin événement, un objet ou une frontière sont rendus possibles.
Ce caractère d'essai de la vidéo de Salloum, sa capacité d'analyser, de déconstruire et de recadrer le contenu, en font une exploration fascinante de la représentation sur un plan plus général. Si le cinéma ethnographique conventionnel met l'accent sur l'intelligibilité logique, rendant compréhensibles les bases du travail de recherche sur le terrain pour l'ensemble de l'auditoire, les vidéos de Salloum transforment le lieu en tin espace conceptuel; elles résistant ce qui est facilement intelligible et signalent les limites inhérentes au désir d'une représentation soi-disant équilibrée. Je ne donne pas dans ce jeu primaire de démonstration a la PBS (télévision d'Etat), affirmait Salloum dans tine interview récente; Je ne crois pas qu'on peut "comprendre", ou que le "sujet" peut être "connu", dans la mesure ou le spectateur occidental comprend l'autre culture (3).Une vidéo antérieure, Introduction to the End of an Argument/Speaking for Oneself... Speaking for Others... (1990), réalisée avec le cinéaste palestinien Elia Suleiman, explore la représentation du Moyen-Orient dans les medias occidentaux en prenant des séquences documentaires du style de la PBS pour déconstruire et reconstruire l'image du Moyen-Orient. Pour ce projet, Salloum a tourné plus de quarante heures de séquences peu après le début de la premier Intifada, en décembre 1987. Il a suivi une équipe de reportage de la NBC et a interviewe plusieurs Palestiniens sur leur perception de l'occupation. Tel que le démontre cette vidéo, le contraste attire l'attention sur les conventions du discours télévisuel et sur le vocabulaire banal que Pan prend pour acquis dans les discussions à propos du Moyen-Orient.
Dans ses deux oeuvres suivantes, Up to the South (Talaeen a Junuub) de 1993, réalisée en collaboration avec Walid Raad, et This is Not Beirut/There Was and There Was Not (Kan ya ma kan) de 1994, Salloum incorpore des extraits d'archives, des interviews et des images tournées au Liban pour offrir une cartographie conceptuelle de l'histoire, de la mémoire et de la communauté (4). Up to the South explore la relation entre nous et eux, se plaçant entre l'Est et l'Ouest pour aborder le vocabulaire provocateur du terrorisme, du territoire et de la résistance. Pour donner suite aux questions traitées dans ce projet, Salloum a fait This is Not Beirut, un examen, sous forme d'essai, des défis lies au tournage d'une vidéo sur le Liban. La vidéo débute par une accumulation de cartes postales, de lieux touristiques et de noms, pour repenser graduellement les bases de la connaissance du Liban par l'Occident. Au cours de ces deux vidéos, le sujet insaisissable du Liban est fracture au sein de la géographie contestée du Sud puis reproduit, répète et, par conséquent, révise dans le flot d'actualites et de cartes postales. Dans les deux cas, Salloum nous donne a voir un Liban qui n'est pas simplement un lieu e représenter en tant que tel, mais plutôt un espace critique pour examiner la question de représentation.
En plus de sa production comme artiste, Salbum s'applique en disséminer et en distribuer ses travaux auprès de plusieurs organisations populaires, musées, galeries et universités. Ses oeuvres offrent plusieurs points d'accès; ou comme Saloum le mentionnait dans une entrevue récente, Tout "public", au delà du public immédiat, est un objet plutôt amorphe et difficile à prévoir, alors je convois l'oeuvre pour qu'elle soit "lue" à plusieurs niveaux différents par différents spectateurs (5).Get intérêt sous-jacent pour le rapport avec l'auditoire, en évitant les lieux communs du documentaire conventionnel, fait surface avec acuité dans le rôle de Salloum en tant que commissaire. Tout récemment, il organisait une exposition sur la nouvelle vidéo arabe, pour le [XIX.sup.e] World Wide Vidéo Festival a Amsterdam, dans laquelle il a regroupe des oeuvres d'artistes vivant au Moyen-Orient, au Canada, en Angleterre et aux Etats-Unis. L'ambitieuse exposition d'une durée de quatre jours rassemblait non seulement des vidéos provenant de partout travers le monde arabe, mais appartenant aussi a différents genres. Comme les vidéos de Salloum, 1'exposition réunissait plusieurs sections apparemment incompatibles, pour permettre la poursuite d'un questionnement sur ce qui constitue les frontières formelles, esthétiques et territoriales.
Ceci N'est pas Beyrouth
La page d'un livre apparaît l'écran, les mots se barbouillent au moment ou la camera les balaie. Coupure au noir. Le texte se rapproche et s'éloigne, recule et avance, rendant le passage illisible, excepte quelques lignes choisies qui sont tour a tour claires et embrouillées. Coupure au noir. La camera continue d'errer sur la page, et certains mots choisis apparaissent momentanément. Deux séquences surgissent l'écran, la première centrée sur les mots To write of Beirut (écrire sur Beyrouth) et la seconde, to read Beirut (lire Beyrouth). Coupure au noir. Déjà dans les premières minutes de l'essai vidéo de Salloum intitule This is Not Beirut, les activités de lecture et d'écriture surviennent au premier plan, comme défis à la vision. Des que les mots apparaissent a l'écran, ils se brouillent, disparaissent ou sont remplaces par la syntaxe inintelligible d'une page sans contexte, de mots sans phrases et de phrases sans paragraphes. De cette manière, le texte présent à l'écran confond la logique de la lecture, qui parcourt la page, avec celle de la vision, qui erre sur la page, telle une accumulation de signifiants. Le texte, intelligible en tant que passage écrit, n'est pas tant lu que vu pendant les éclairs d'aveuglement et de visibilité crées par les coupures et les cassures de la vidéo. Ce que Salloum propose est une pratique alternative de lecture dans laquelle le contexte d'un passage demeure inconnu, ou les mots sont séparés des phrases et les phrases, séparées des paragraphes. Salloum nous présente un texte qui débute au milieu, un texte déjà lu, déjà écrit, et pourtant aussi illisible que le passage qu'il représente. Les qualités formelles et matérielles de la vidéo, les traînées de la camera, le travail sur la mise au point et les coupures l'emportent sur la possibilité de lire le passage écrit représente à l'écran.
Le mot Beirut qui apparaît la fin de cette séquence place son apparente illisibilité dans un rapport similaire celui du calligramme enchevêtre de la célèbre peinture de Magritte, La Trahison des images (Ceci n'est pas une pipe). En effet, tel que suggère par le titre de Salloum, si cette vidéo produit une image de Beyrouth, c'est seulement pour la nier. Cette négation déclenche son tour un mouvement crucial: tout comme Magritte met en jeu le mouvement entre les mots places au bas de la peinture et la pipe qu'elle représente, la vidéo de Salloum anime le mouvement entre les mots sur la page et leur rapport sémantique au reste de la vidéo. Il existe cependant une différence cruciale. Dans This is Not Beirut, c'est le texte lui-même qui se déplace l'intérieur de l'image, balaye visuellement sur l'écran et extrait temporellement des coupures au noir. Ainsi, la vidéo anime non seulement le mouvement entre le texte et l'image, mais subsume également la sémantique de la page écrit e dans la syntaxe visuelle de ses coupures et de ses cassures. Salloum met non seulement en lumière le problème de la représentation et de la signification, mais aussi le problème de la mise en contexte, par laquelle les mots et les phrases pourraient être compris en relation avec ce qui précède et ce qui suit. En autant que le passage écrit ne peut être facilement compris travers ses fragments épars, Beyrouth apparaît elle aussi comme un composite de fragments illisibles, comme un objet de discours qui est examine, anime et déconstruit par le processus de sa représentation vidéographique. En fin de compte, Beyrouth s'inscrit partout comme texte, comme image, comme carte postale et comme histoire; et pourtant Beyrouth n'est jamais représentée de manière être connue, lue ou simplement comprise.
Dans sa quête visant identifier Beyrouth, la vidéo de Salloum bombarde le documentaire de représentations, accumulant une vaste collection d'images, dont le composite donne a voir une image aussi incompréhensible que le passage écrit. Immédiatement après, la vidéo passe au plan d'un stylo pose sur une table prés d'un bout de papier. A mesure que la scène progresse, Walid et Jayce discutent de l'histoire du Liban tout en traçant certains des principaux axes d'identification. La camera est surtout fixée sur la main de Walid qui tient la plume et écrit les noms de plusieurs groupes libanais de résistance sur le bout de papier. On entend Jayce, gui demeure hors champ, alors qu'il invite Walid à ajouter une case pour tenir compte des notions de communauté et d'identification en plus du principe de résistance. Au cours du dialogue, la camera erre sur la table, et laisse parfois entrevoir la tête de Walid et sa main, pour se concentrer plus tard sur sa grand-mère, assise au fond de la pièce. Par contraste avec la scène précédente, dans laquelle le texte surgit a l'écran comme seule source d'information visuelle, cette scène complique l'activité de lecture et d'écriture en la transformant en une sorte de dialogue; et plus qu'un simple dialogue, la scène renferme le curieux punctum de la grand-mère, étendue sur une chaise, regardant a l'occasion la camera, s'endormant et s'éveillant tour a tour.
Dans une vidéo centrée avant tout sur des images d'actualités du Liban, de Beyrouth et sur le problème de la dénomination, ces deux scènes de lecture et d'écriture nous aident à situer la vidéo comme une réflexion sur le problème de la représentation. La grand-mère, en particulier, nous permet de nous engager dans l'activité plutôt paradoxale de l'observation de l'écoute. Si la cartographie de l'histoire libanaise se produit sur le morceau de papier, alors la camera dresse une autre carte au moment du gros plan sur le visage de la femme âgée. Elle regarde droit dans la camera, les rides autour de ses yeux évoquent son histoire personnelle et a un moment donne, elle cligne des yeux face la camera. Ce curieux clignement offre une intéressante contrepartie à la discussion autour du bout de papier. Pendant que les deux artistes discutent de l'histoire libanaise, la femme âgée apparaît l'écran et digne des yeux; elle ferme les yeux devant le regard de la camera. Comme s'il inversait la coupure l'obscurité qui ponctue les images du passage d'écriture, le dignement donne voir la négation même, la visualisation de l'obscurité, l'observation du silence et de l'écoute. Ainsi, la femme âgée apporte un changement nécessaire dans la logique de la séquence de la vidéo, une sorte de miroir entre les deux scènes, le visage comme carte, le clignement comme silence et la cartographie du récit du Liban. Il n'est pas question ici de savoir ou trouver le Liban ou Beyrouth, ni de savoir identifier l'expérience arabo-canadienne; This is Not Beirut nous presse plutôt d'examiner comment lire Beyrouth en cours d'écriture, dans l'interaction entre l'aveuglement et la visibilité.
Histoires en mouvance
Dans son essai intitule Le Narrateur, Walter Benjamin établit une distinction entre narration et information. Aucun événement n'arrive plus jusqu'a nous sans être accompagne d'explications (6), écrit-il, a peu prés rien de ce qui advient ne profite la narration, presque tout sert l'information. La distinction de Benjamin évoque le problème plus large de la communication a l'ère de l'information, ou le narrateur efficace doit nécessairement éviter les explications:
L'extraordinaire, le merveilleux, est conte au lecteur avec la plus grande précision, mais l'événement ne lui est pas impose dans ses connexions psychologiques. C'est à lui d'interpréter Ta chose comme il l'entend. Le récit acquiert de la sorte un champ d'oscillation qui manque l'information.
Si Benjamin privilégie la narration par rapport à l'information, alors il le fait parce qu'elle ne force pas les connexions logiques. En d'autres mots, il y a place à la lecture, a l'interprétation et a la réflexion dans l'histoire racontée avec art, en comparaison avec l'information déjà accompagne[e] d'explications.
Chacune des vidéos de Salloum joue sur une frontière subtile entre la narration et l'information. Si la plupart de ses oeuvres débutent par le Liban, c'est pour déconstruire et interroger la représentation médiatique. En d'autres mots, les vidéos utilisent l'information comme point de départ et comme matériau forcement transforme par juxtaposition, appropriation et répétition. Leur caractère poignant réside dans la désarticulation de l'informationnel, la capacité de prendre ce qui a déjà explique pour ouvrir a des possibilités de signification, de prendre ce qui semble banal et de le faire éclater grâce a son potentiel narratif. Ce qui commence sous la forme de séquences d'actualités sur le Liban, sature par la voix off qui raconte le récit dominant de l'histoire libanaise, se termine sous la forme d'un autre départ, simple fragment dans un collage de représentations du Liban. Les cartes postales, la musique, les interviews et les discussions sur le problème de la représentation des dynamiques de la communauté, de la résistance et de la nation, tout contribue à mettre en oeuvre un déplacement crucial de l'informationnel vers un texte ouvert, en attente d'un lecteur. On trouve dans chaque vidéo une ampleur au delà du récit conventionnel de l'histoire libanaise, dans la mesure ou l'histoire elle-même opère comme fondement de la représentation.
Dans everything and nothing, le format de l'interview exhume un type particulier de récit, tenu ensemble par la personne qui pane, dont la mémoire de l'événement est ravivée par des couches successives de questions. La vidéo ne présente pas tant l'information, a savoir la construction d'une image informationnelle ou d'un portrait de Bechara, qu'elle propose une méditation sur les rapports entre le discours, la mémoire et l'articulation d'un passe non très lointain. Dans une exposition qui invite les artistes a partager des histoires servant a glaner des informations sur l'expérience arabo-canadienne, la vidéo de Salloum utilise l'information dans le but de refuser les conditions informationnelles de la narration fondée sur l'identité. Si Salloum avait raconte une histoire, il aurait peut-être aborde comment le soi-disant Arabo-Canadien se situe comme sujet divise entre deux pays divergents, et lutte pour accepter une identité fracturée; cependant, dans cette sorte de narration, le fait même des origines du narrateur prédétermine comment le récit lui-même sera entendu. Salloum débute avec le fait présumé de l'origine, l'information prétendument à la base du récit, de manière a nous permettre de réfléchir au delà. Si dans le cas de Soha Bechara, everything and nothing nous amène à envisager la de mythologisation d'un personnage, alors dans le cas de la soi-disant expérience arabo-canadienne, la vidéo accomplit une déconstruction analytique des catégories mêmes qui rendent imaginables de telles conventions identitaires. Il n'existe pas d'explication quant a la pertinence, ni d'histoire a raconter qui justifie le discours de l'expatriée libanaise a Paris; au contraire, le récit de Salloum refuse de rechercher ou d’énoncer le genre d'information exige par la personne qui écoute. Ainsi, sa vidéo transforme l'information, les images d'actualités, les interviews et ce qui semble être un documentaire en un récit aux multiples lectures.
Dans la cartographie vidéographique de Salloum, il n'y a pas de centre ultime à trouver, de renseignement unique à recueillir, ni une seule histoire a écouté. Situe entre le portrait de Bechara et le centre de détention d'El-Khiam, entre la quête de Beyrouth et l'explosion de ses représentations, le lieu Liban est moins une destination qu'une méditation sur le problème des chemins de la narration.
Notes
(1) L'exposition Ces pays qui m'habitent / These Lands Within Me est présentée au Musée des civilisations Gatineau, Québec, jusqu'en mars 2003. Le visiteur mécontent était le rabbin Reuvin Bulka, dont les commentaires sont reportes dans un article de Graham Fraser Controversial Exhibit Draws Fire, Toronto Star, 1g octobre 2001.
(2) Soha Bechara a passe dix ans en captivité. Elle a été proclamée martyre vivante et, a la suite dépressions de la communauté internationale des droits de la personne, elle a été relâchée en septembre 1998. Un an plus tard, she eat partie pour Paris, ou elle étudie présentement le droit international.
(3) Tire d'un entretien de Jayce Salloum avec Molly Hankwitz, Occupied Territories: the Mapping of cultural Terrain, paraître dans la revue de cinéma britannique Framework [traduit de l'anglais].
(4) Plusieurs vidéos de Salloum font également partie d'installations. This is Not Beirut a, par exemple, été présentée dans le cadre de There Was and There Was Not/Kan ya ma Kan, une exposition itinérante au Canada, aux Etats-Unis et en Europe.
(5) Salloum in Hankwitz, op. cit.
(6) Toutes les citations de ce paragraphe sont tirées de Walter Benjamin, Le Narrateur, Rastelli raconte... et autres récits, trad. Maurice de Gandillac, Editions du Seuil, Paris, 1987, p.152 et 153.
L'auteur est un étudiant de troisième cycle au département de littérature comparée de l'Université de Californie a Berkeley; il s'intéresse en ce moment la question du bilingue, entendue en termes de relation entre les langues (française/arabe/anglaise) aussi bien qu'entre les medias (cinéma/vidéo/texte). Son projet actuel est une exploration des relations entre la langue et le droit a Alger, Beyrouth et Montréal, alliant son intérêt pour la littérature, le cinéma et la philosophie européenne.