Affaires marché de l'art - Le Commerce du Levant - Juillet 2010
Beyrouth accueille la première foire internationale dédiée à l'art régional
Beyrouth s'imposera-t-elle comme le centre du marché de l'art au Moyen-Orient, en pleine croissance? C'est beaucoup trop tôt pour le dire. La capitale libanaise accueille en tout cas cette année l'édition zéro de la première foire internationale dédiée à l'art de la région MENASA (Middle East, North Africa, South-East Asia).
Trente galeries internationales participent à l'édition zéro de la première foire internationale consacrée à l'art de la région Menasa qui se tient à Beyrouth, au pavillon du BIEL, les 13 et 14 juillet 2010. MENASA, c'est un acronyme anglophone pour Middle East, North Africa, South-East Asia (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Asie du Sud-Est), à savoir une région qui s'étend du Maroc à l'Indonésie.
Baptisé Menasart, l'événement à vocation à devenir le rendez-vous professionnel dans une région dont le marché de l'art est en pleine croissance. C'est du moins le pari de Laure d'Hauteville et de ses associés. Dès 2011, Menasart devrait réunir 40 galeries de renommée internationale qui présenteront les œuvres des quelque 300 artistes les plus connus de la région.
L'intérêt pour ce marché émergent de l'art a commencé à grandir depuis 2005. Différents acteurs de ce secteur s'y sont intéressés: expositions, musées, maisons d'enchères, collectionneurs, etc. Les deux grands noms du secteur, Christie's et Sotheby's se sont successivement installés à Dubaï à partir de 2006. Mais, selon Laure d'Hauteville, le panorama n'est pas complet en l'absence de foire consacrée aux artistes de la région. « Les expositions et salons organisés jusque-là présentent au public de la région des œuvres d'artistes internationaux ; nous voulons combler cette lacune. » Menasart, dit-elle, servira plusieurs objectifs: répondre à une demande grandissante de la part des collectionneurs du monde entier qui souhaitent mieux connaître les talents de la région; s'adresser plus particulièrement aux grands collectionneurs de la région; attirer l'attention des medias internationaux sur ce marché émergent…
Au-delà de son attachement personnel au Liban, Laure d'Hauteville estime que Beyrouth a tous les atouts pour devenir une nouvelle plate-forme de l'art contemporain régional. «J'y ai crée Artsud en 1998, car j'ai toujours été convaincue du potentiel de l'art libanais en particulier et de l'art de la région en général. On me riait au nez à l'époque. Aujourd'hui, l'évolution du marché de l'art commence à me donner raison. » Le choix de Beyrouth s'explique par l'attrait indéniable que la ville continue d'exercer sur les "passionnés" du Moyen-0rient, sans compter que la capitale libanaise est la destination estivale d'un nombre croissant de clients potentiels à très hauts revenus.
Le marché régional de l'art est certes encore jeune, mais son potentiel est grand. Le chiffre d'affaires des enchères organisées ces trois dernières années représente 200 millions de dollars. Le marché a augmenté de 600% en quatre ans. Et les prix encore abordables de l'art islamo-arabe, comparé à ceux de l'art occidental, attirent les collectionneurs et les musées. « Le marché devrait connaître une très forte croissance au cours des cinq prochaines années », prédit Laure d'Hauteville.
Malgré la crise, l'édition 2010 de la vente de Christie's à Dubaï a totalisé 15,2 millions de dollars; 86% des lots ayant trouvé preneur. Le record de la vente aux enchères revient aux Chadouf de l'Egyptien Mahmoud Said, adjugé à 2,4 millions de dollars, soit plus de dix fois son estimation qui était de 200 000 dollars. C'est l'artiste iranien Parviz Tanavoli qui détient cependant encore à ce jour le record de prix pour un artiste moyen-oriental lors d'une vente aux encheres (2,8 millions de dollars lors de la vente de Christie's en avril 2008).
Top 10 des artistes modernes du Moyen-0rient
Nom - Nationalité - Date de naissance - Titre - Prix (en dollars) - Maisons d'enchères - Date Vente
1- Parviz Tanavoli - Iran - 1937 - The Wall - Oh, Persepolis - 2 500 000 - Christie's - 2008
2- Mahmoud Said - Egypte-1897 - Les Chadoufs - 2100 000 - Christie's - 2010
3- Hossein Zenderoudi - Iran - 1937 – Tchaar-bagh - 1 400 000 - Christie's - 2008
4- Mohammad Ehsai - Iran - 1940 - He is the Merciful - 1 000 000 - Christie's - 2008
5- Parviz Tanavoli - Iran - 1937 - Poet and Cage - 850 000 - Christie's - 2010
6- Mahmoud Said - Egypt - 1897 - Sunset on the Nile at Luxor - 750 000 - Christie's - 2010
7- Ahmad Moustafa - Egypt - 1943 - Remembrance and Gratitude - 550 000 - Christie's - 2007
8- Ahmad Moustafa - Egypt - 1943 – Qur'anic Polyptych of Nine Panels - 550 000 - Christie's - 2009
9- Mahmoud Said - Egypt - 1897 - A Girl Sitting on the floor - 550 000 - Christie's - 2010
10- Hossein Zenderoudi - Iran -1937 - Vav + Hwe - 500 000 - Christie's - 2008
Top 10 des artistes contemporains du Moyen-Orient
Nom - Nationalité - Date de naissance - Titre - Prix (en dollars) - Maison d'enchères - Date vente
1- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - Eshgh (love) - 900 000 – Bonhams - 2008
2- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - I Love you Until Eternity - 650 000 - Christie's - 2008
3- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - Cowboy and Indian - 537 900 - Sotheby's 2009
4- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - One world/Yek Donia - 500 000 – Christie's - 2007
5- Afshin Pirashemi - Iran - 1974 - Rapture - 460 000 - Christie's - 2010
6- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - Flying Carpet - 450 000 - Christie's - 2010
7- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - The old poet and the babe - 374 900 – Sotheby's 2008
8- Sedaghat Jabbari - Iran - 1961 - Divine Names - 360 000 - Christie's - 2007
9- Farhad Moshiri – Iran - 1963 - Diamond Head - 250 000 - Sotheby's - 2009
10- Farhad Moshiri - Iran - 1963 - Angel - 220 000 - Bonhams - 2008
Top 5 des artistes libanais lors de ventes aux enchères
Artiste - Volume total vendu aux enchères (en dollars)
1- Paul Guiragossian (1927) - 2 001 520
2- Chafic Abboud (1926) - 1 520 450
3- Nabil Nahas (1949) - 619 110
4- Hussein Madi (1938) - 218 325
5- Chaouki Chamoun (1942) - 216 400
Des cotes qui explosent
Entretien avec Pascal Odille et Laure d'Hauteville, respectivement directeur artistique et directrice de Menasart.
Comment s'etablit la cote d'un artiste?
La cote des jeunes artistes s'établit tout d'abord grâce aux galeries qui les exposent et les représentent. Par la suite, elle est réévaluée pour ceux dont la visibilité artistique se développe internationalement, à travers de grandes manifestations comme les foires d'art contemporain (action commerciale) ou les biennales (culturelles et non commerciales). Parallèlement, le marché des ventes aux enchères peut modifier considérablement ces cotes, parfois de manière inattendue.
Les ventes aux enchères sont déterminantes, car le marché de l'art reste globalement opaque: la plupart des ventes réalisées entre professionnels et particuliers, ce que nous appelons les ventes de gré à gré, restent globalement non chiffrables. C'est pour cela que les ventes aux enchères, publiques, sont les seules à servir de référence pour coter les artistes.
Comment a évolué la cote des artistes de la région?
Depuis 2007 avec l'installation de Christie's à Dubai, on a vu apparaître sur la scène du marché artistique international des artistes de la région MENASA qui, jusque-là, n'avaient qu'une notoriété locale. Cela modifie considérablement les jugements occidentaux face à cette création et oblige à y porter un nouveau regard, alors que celui-ci était surtout centré sur les artistes occidentaux ou plus récemment indiens ou chinois.
Car les outils de communications mis en place par les grandes maisons de ventes aux enchères apportent une large visibilité à ce type d'événement. Ils maitrisent à la perfection les outils marketing.
Un bon exemple est le cas de Mahmoud Said (1897-1964), artiste égyptien, peu connu voire inconnu des collectionneurs occidentaux, qui a vu sa cote exploser avec son dernier record pour les Chadouf peints en 1934 qui a été acheté pour 2,4 millions de dollars. Autres exemples d'artistes plus contemporains qui ont vu leur cote modifiée: Adel el-Siwi, Parviz Tanavoli ou encore le Libanais Nabil Nahas. La liste est très grande et c'est la justement la nouveauté: ce sont les artistes de ce territoire qui sont maintenant recherchés davantage qu'une école ou un genre…
L'intérêt des Occidentaux pour l'art non occidental est-il récent?
Cela fait bien longtemps que les Occidentaux s'intéressent aux arts extra-européens. Pour preuve, toutes les grandes collections des Arts de l'islam, des Arts d'Asie, d'Afrique ou des Amériques que l'on retrouve de nos jours dans les musées européens et américains. Mais toutes ces œuvres et ces chefs-d'œuvre ne faisaient pas pour autant l'objet d'un vrai marché spéculatif comme c'est le cas depuis les années 1980.
On a assisté ces trois dernières décennies à l'ouverture du marché de l'art qui ne fonctionne plus comme une simple juxtaposition de marchés nationaux, mais comme un marché mondial.
Chaque espace artistique national est inséré actuellement dans un système global d'échanges culturels et économiques. On est passé d'une organisation de type artisanal à une organisation de type industriel, stimulée par la dématérialisation des flux financiers susceptibles de s'investir dans des biens d'art.
Quels sont les marchés qui ont bénéficié les premiers de cette ouverture?
Le marché occidental s'est découvert tout d'abord une passion pour la création chinoise contemporaine à partir de 2004. En moins de deux ans, c'est-à-dire à la fin de l'année 2006, on a pu constater que la cote de quelques artistes chinois "vedettes" avait plus que doublé.
Un artiste comme Zhang Xiaogang, qui n'apparaît vraiment en ventes aux enchères qu'à partir de 2004 avec un record à 50 000 dollars, écrase le marché de l'art contemporain en 2006, porté par neuf enchères supérieures au million de dollars en moins d'un an et produit des ventes de 38 millions de dollars. J'utilise le terme économique de "produit de ventes", tant le marché de l'art parait être calqué aujourd'hui sur n'importe quel autre marché financier.
En dehors de l'intérêt pour la Chine, lié à l'ouverture des frontières et à une libéralisation de l'économie, l'intérêt des amateurs et des collectionneurs spéculateurs s'est porté ensuite sur l'Inde, puis sur la Russie.
Qu'en est-il du Moyen-0rient?
L'intérêt pour ces territoires ne date pas d'hier. Les collectionneurs se sont tout d'abord intéressés aux objets archéologiques, ainsi qu'aux arts traditionnels et islamiques. Par ailleurs, on connaît l'attrait que l'on avait en Europe depuis le XVIIIe siècle pour l'"Orient rêvé", symbolisant un exotisme source de pittoresque et de fantasmes sensuels.
On a vu apparaître dans les expositions internationales des la fin du XIXe siècle des artistes peintres figuratifs du Territoire comme Daoud Corm (1858-1930). Malheureusement, tous les artistes du Territoire étaient regardés souvent d'une manière assez réductrice à travers un regard marque de colonialisme.
C'est sans doute après la Seconde Guerre mondiale et l'acceptation du public pour la peinture abstraite qu'on découvrira en Occident de grands peintres du monde arabe comme Abdallah Benanteur et Rachid Koraichi ou le Libanais Chafic Abboud. Ils s'intégreront de manière quasi immédiate dans le paysage artistique occidental.
A partir des années 90, l'apparition de nouveaux médias, et notamment Internet, a permis une plus large visibilité du monde artistique, la diffusion des informations ainsi que la possibilité de vraies confrontations artistiques et d'échanges, non plus simplement le domaine de l'abstraction, mais sur tous les types de représentations et de supports.
Il est intéressant de remarquer que cette mondialisation qui aurait pu aboutir à une uniformisation de la production artistique a eu, pour effet inverse, de pousser les amateurs et les collectionneurs, toujours à la recherche de nouveautés, à s'intéresser à des artistes aux univers uniques et particuliers, nourris de leur propre culture et de l'histoire de leur pays. Ces territoires qui ont été longtemps oubliés deviennent aujourd'hui un véritable creuset artistique à la fois riche de sa tradition et porteur de nouveaux messages.
Peut-on parler d'un art spécifique arabo-musulman?
De nos jours, les artistes ne sont plus enfermés dans leur propre culture. Beaucoup d'ailleurs vivent à l'étranger où ils ont suivi bien souvent leur formation artistique. Mais, il reste évident que beaucoup d'artistes de la région s'inscrivent dans leur propre tradition culturelle, par exemple en donnant une réinterprétation contemporaine de la calligraphie arabe comme le font Nja Mahdaoui, Rachid Koraichi ou Ahmed Moustafa. D'autres artistes témoignent de leur époque en adressant des messages qui concernent directement ou pas l'actualité économique, sociale ou politique du territoire. Certaines de ces œuvres sont si inspirées de l'actualité de la région qu'elles pourraient même être interprétées comme de véritables manifestes à l'instar des installations ou des peintures de Jeffar Khaldi qui seront présentées à la foire Menasart cette année.
Parler de marché suppose des hausses, mais aussi des baisses de prix…
C'est tout d'abord le marché de l'art contemporain qui a commencé à présenter les caractéristiques d'un marché spéculatif. La multiplication des transactions et des achats à la hausse, suscités par les effets d'entraînement et de mode ou par l'attrait ostentatoire du prix fort, a abouti à la déconnexion entre les prix pratiques sur le marché et la valeur artistique de départ.
La bulle spéculative, tout d'abord attachée aux seuls artistes occidentaux, a atteint son paroxysme, le 16 septembre 2008 chez Sotheby's à Londres, avec le formidable coup de marketing de la vente de l'artiste britannique Damien Hirst intitulée "Beautiful Inside My Head Forever" qui a totalisé 120 millions d'euros. Si après cette vente record, nous ignorons l'évolution de la cote de l'artiste, puisque aucune pièce importante n'a été vendue depuis aux enchères il faut noter que le marché des multiples (Multiples: œuvres tirées à plusieurs exemplaires quel que soit le support: papier, photographie, bronze, résine…) a enregistré une chute globale de 40 %.
En revenant à l'exemple de Zhang Xiaogang, après le prix record obtenu en avril 2008 de 3,4 millions d'euros, pour une de ses œuvres les plus connues, présentée à la 46e Edition de la biennale de Venise, provenant d'une grande collection occidentale, on a pu observer six mois plus tard en octobre 2008, au début de la crise économique, que sur les onze toiles présentées en vente à Londres et à Hong Kong huit d'entre elles ont été ravalées en raison d'estimations jugées trop élevées.
Nous sommes à la naissance d'un nouveau marché avec toutes les inconnues économiques et politiques qui le conditionnent. Ce qui reste certain, c'est qu'il y a énormément d'artistes de la région à découvrir et à redécouvrir. Et gageons que si tous les amateurs et collectionneurs se sentent en sécurité, grâce notamment au sérieux du travail des acteurs de ce marché, ces artistes sont promis à un bel avenir.
Isabelle de la Bruyère, Christie's: «Nous avons placé les artistes de la région sur une plate-forme internationale»
Entretien avec Isabelle de la Bruyère, directrice Moyen-0rient de Christie's qui a été la première maison de vente aux enchères à s'installer à Dubaï.
De quand date l'intérêt de Christie's pour le marché de l'art moyen-oriental?
Lorsque nous avons commencé en 1998 à organiser des ventes orientalistes, nous nous sommes rendu compte de l'importance relative des clients originaires du Moyen-Orient. Les clients de la région sont actifs sur le marché de l'art depuis au moins les années 1970 et leur nombre est allé croissant depuis, mais sur le segment des orientalistes, ils ont été jusqu'à représenter 75% des ventes. De plus, nous avons noté que les clients intéressés par les orientalistes ne l'étaient pas forcement par d'autres segments du marché. Christie's a donc décidé de se rapprocher de cette clientèle en organisant à partir de 2003 des expositions de bijoux et de tableaux orientalistes. En 2005, la maison a ouvert un bureau à Dubaï et, en mai 2006, nous avons organisé la première vente aux enchères d'artistes du Moyen-0rient.
Comment à évolué le marché depuis?
Au moment de notre installation à Dubaï, le business-plan prévoyait un chiffre d'affaires de 30 millions de dollars entre 2006 et 2009. En réalité, les ventes ont atteint 100 millions de dollars en moins de 24 mois d'exercice. En quatre ans, nous en sommes aujourd'hui à 175 millions de dollars.
Les estimations de notre première vente tournaient autour de quatre millions de dollars, mais la vente a totalisé 8,5 millions de dollars, soit le double. Lors de la dernière vente, ce ratio a encore augmenté: les adjudications ont totalisé plus de 15 millions de dollars pour une estimation de cinq millions.
Quel rôle joue Christie's sur ce marché?
Des galeries existent depuis des années au Moyen-Orient, mais c'est notre implantation à Dubaï qui a fait accéder les artistes de la région à une plate-forme internationale. Pour la première fois en 2006, les collectionneurs du monde entier les ont découvertes. Le marché est encore naissant, mais son potentiel très grand. Les collectionneurs internationaux, les musées commencent à s'y intéresser.
Quels sont vos prochains rendez-vous?
Christie's organise une vente d'artistes du Moyen-0rient à Dubaï le 26 octobre 2010. Elle sera suivie le lendemain d'une vente de bijoux et de montres. Ensuite, nous organisons le 9 novembre 2010 une deuxième vente d'art moderne et contemporain du Moyen-Orient à Paris qui inclura des œuvres de collections importantes.